INTRODUCTION
Adrien Arcand est sans conteste l’un des plus grands penseurs du Canada contemporain. Il est une figure majeure de notre temps dont il faut lire et méditer les textes. Si l’on connaît bien ses idées politiques et religieuses, peu savent qu’Arcand était un artiste accompli.
Adrien Arcand s’est intéressé très jeune à l’art. Il est entré au journal La Patrie dès 1920, alors qu’il venait d’avoir 20 ans. Un an plus tard, il devenait journaliste à La Presse, quotidien francophone ayant le plus grand tirage en Amérique. Arcand a tenu des chroniques judiciaires et artistiques pendant près de huit ans pour ce journal.
Ce poste lui a notamment permis de devenir un pionnier de la radio et du cinéma canadien. Il était partie prenante de l’inauguration de CKAC, première radio francophone en Amérique. La Presse du 2 octobre 1922 nous apprend qu’Arcand a alors lu en onde « Les Musiciens de Brême », un conte des frères Grimm. Il a relaté plusieurs autres histoires du même genre dans les mois qui ont suivi. En 1924, il était devenu rédacteur de la station.
En 1923, La Presse a également organisé un concours de scénario pour produire ce qui allait devenir un des premiers films francophones du Canada. L’historien Germain Lacasse (Études littéraires, volume 26, numéro 2, 1993, p. 61) a révélé qu’Arcand a été le scénariste de La Primeur volée, film qui a remporté la compétition. Le synopsis du film a été publié dans La Presse du 8 mars 1923. Arcand utilisait alors le pseudonyme de Francis Amérique, fort probablement parce que le journal ne souhaitait pas donner ouvertement le prix à l’un de ses employés.
La Primeur volée était une comédie qui a été réalisée par Jean Arsin. On sait que le film a circulé au Canada français pendant plusieurs mois. Comme bien d’autres œuvres cinématographiques des années 1920, La Primeur volée est cependant aujourd’hui disparu. Il n’en existe plus aucune copie. La Presse en a toutefois abondamment parlé. Dans son édition du 2 juin 1923, le journal nous apprend que le rôle principal féminin a été tenu par Yvonne Giguère, future épouse d’Adrien Arcand. Les deux ont sans doute été un des premiers couples canadiens du septième art. Arcand a aussi été impliqué dans un autre film tourné sous les auspices de La Presse. Il a été directeur de la publicité pour Diligamus vos, réalisé en 1925 également par Jean Arsin. Cette implication dans les milieux du cinéma a perduré longtemps. Il a témoigné devant la Commission royale d’enquête sur l’incendie du Laurier Palace, instituée en 1927 pour s’enquérir de cette tragédie et de la situation du cinéma dans la province de Québec. Arcand a notamment déposé en preuve deux lettres qu’il a reçues de la Motion Picture Producers and Distributors of America. En 1931, il était présent au premier congrès des exploitants du film français au Québec.
La Presse a aussi permis à Adrien Arcand de faire plusieurs rencontres dans les milieux littéraires de son époque. Dans une lettre au Chanoine Panneton datée du 4 novembre 1965 (reproduite dans Arcand ou la Vérité retrouvée, tome 1, p. 327), Arcand expliquait qu’il déjeunait régulièrement entre autres avec le philosophe Victor Barbeau, Léon Lorrain, journaliste et professeur à l’École des hautes études commerciales, et le docteur Philippe Panneton. Ces contacts ont sans doute perduré longtemps. Le 28 juin 1928, Hugues Clément, beau-frère de Victor Barbeau, a épousé Édith Arcand, sœur d’Adrien.
La carrière d’Adrien Arcand à La Presse s’est terminée en 1929. Il avait essayé de fonder un syndicat de journalistes, ce qui lui a valu son renvoi. Il ne lui fallut que quelques mois pour se remettre sur pied. En août 1929, Le Goglu, un journal humoristique hebdomadaire, était en effet lancé par Arcand et son collègue Joseph Ménard. Le Goglu a connu un bon succès. Il a inclus un roman feuilleton dès la deuxième parution: Popeline ou le Coeur en peine. Le roman, signé du pseudonyme d’Émile Goglu, a été publié chaque semaine jusqu’à la disparition du Goglu. Il est paru en 185 tranches. On notera que les éditions du 19 et 26 février 1932 passent directement de la 131° à la 133 tranche. Il n’y a donc pas eu de 132 parution.
Popeline est certainement un roman d’un grand intérêt historique. Il s’agit d’un des premiers textes littéraires écrits en joual, lequel correspond essentiellement au français argotique parlé dans la région de Montréal. C’est un argot avec un vocabulaire qui emprunte beaucoup à l’anglais et qui a ses propres tournures de phrase. On retrouve ainsi dans Popeline plusieurs mots anglais écrits phonétiquement et réutilisés dans un nouveau contexte linguistique. Cette langue si particulière nous force à publier Popeline tel quel sans grandes tentatives de correction.
D’après Arcand, c’est à lui-même, au docteur Panneton et au journaliste Louis Francoeur qu’on doit l’invention du terme << parler joual ». C’est du moins ce qu’il affirme dans sa lettre au Chanoine Panneton du 4 novembre 1965. Le docteur Panneton s’est lui-même inspiré du joual pour les dialogues de Trente arpents, roman considéré comme un classique de la littérature québécoise, publié quelques années après Popeline. On sait que le joual a été très populaire dans la littérature québécoise à partir des années 1960. Son promoteur le plus connu a été Michel Tremblay, dont l’œuvre théâtrale et romanesque a été traduite dans une quarantaine de langues. Il a été si populaire qu’on qualifie parfois le français québécois de « langue de Tremblay ». Avec Popeline, on se demande en fait si on ne devrait pas plutôt parler de la « langue d’Arcand». Dans les années 1970, l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu eut l’idée de publier Popeline. Il n’y donna toutefois pas suite.
Le roman suit les aventures de Popeline Dubois, une jeune dame, et de trois de ses camarades. Dès la première parution, Popeline rencontre Jack White, avec qui elle entretient vite une relation sentimentale. Plus tard, nous sont présentés Flannellette, sœur jumelle de Popeline, et Ernest Lafrance dit Sirop. Les quatre protagonistes vivent des aventures variées au grès des semaines. Comme il s’agit d’un feuilleton, l’action suit souvent l’actualité. Adrien Arcand se sert de fait abondamment de Popeline pour expliquer son idéologie politique. Plusieurs tranches traitent ainsi des problèmes avec les vieux partis qu’étaient les rouges (les libéraux) et les bleus (les conservateurs). Arcand a aussi employé Popeline pour dénoncer l’influence juive dans la société. Dans L’Humour au Canada français (1968), Adrien Thério a dit de Popeline que c’était «< un peu de joie au milieu de la dépression de 1930 ».
Les révélations concernant des politiciens ou des groupes ethniques, de même que le ton humoristique et incisif du Goglu ont fait qu’il a eu beaucoup d’ennemis. Son imprimeur a été attaqué et incendié dans la nuit du 16 août 1931, un peu plus d’une semaine avant des élections générales dans la province de Québec. Les dégâts ont été évalués à plusieurs milliers de dollars. Ce sabotage explique probablement pourquoi Popeline n’est pas paru dans le Goglu du 21 août 1931. En 1932, Peter Bercovitch, député juif à l’Assemblée législative du Québec, a par ailleurs introduit un projet de loi pour interdire les publications diffamatoires. Il visait notamment le Goglu. Son idée a été battue par seulement trois voix. Si aucune loi n’est venue entraver les publications d’Adrien Arcand et Joseph Ménard, les deux collègues ont autrement eu à subir plusieurs procès. Des historiens ont estimé qu’au début de 1933 il y avait une vingtaine de poursuites pour diffamation contre Adrien Arcand. Les revenus publicitaires étaient en baisse. C’est probablement ce qui explique que le Goglu a cessé de paraître brusquement le 10 mars 1933. Popeline se termine ainsi sur un « à suivre » et n’a pas de véritable fin. Le Miroir, un autre des journaux d’Arcand, a quant à lui cesser de paraître le 19 mars 1933. Dans l’éditorial du dernier numéro du Miroir, Adrien Arcand expliquait que les publications devaient cesser à cause de problèmes financiers. Il disait ainsi que :
S’il est toujours facile d’obtenir les fonds pour les mouvements de désordre et de chaos, il est difficile d’en obtenir pour les mouvements d’extrême droite, d’ordre et de principes. Cela est sans doute voulu pour mesurer les convictions et mettre la persévérance à l’épreuve.
La disparition de ces journaux n’a effectivement pas eu de grande influence sur l’implication militante d’Adrien Arcand. Le Patriote a été lancé en mai 1933. Bien d’autres périodiques allaient suivre. En 1937, Arcand a fait paraître Le Siffleux. Le journal n’a vécu que quelques mois, mais contenait un roman-feuilleton: Le Corset du mystère ou Toujours l’amour. Ce roman se voulait la suite de Popeline. L’auteur était Oscar Siffleux, un autre pseudonyme d’Arcand. Il n’existe cependant aujourd’hui plus de collections complètes du Siffleux. Il n’est donc pas possible de reproduire entièrement ce récit.
On connaît bien l’engagement politique d’Adrien Arcand. Il a fondé le Parti national social chrétien en février 1934. Le Parti a attiré quelques proches de personnalités littéraires. Hugues Clément, dont nous avons parlé, est demeuré fidèle à Arcand jus qu’à son décès. C’est aussi le docteur Joseph-Gabriel Lambert qui a rejoint le parti et est devenu un de ses principaux lieutenants. Le docteur était le frère de Thérèse Lambert, épouse de Claude-Henri Grignon, un des auteurs les plus populaires du Canada français. Un homme et son péché, son roman le plus connu, a été adapté à de multiples reprises autant à la radio, au cinéma, au théâtre qu’à la télévision. Anarchiste de droite, Grignon n’a pas lui-même été partisan d’Adrien Arcand. Le militantisme de son beau-frère explique toutefois probablement pourquoi il avait prévu un coup de force des fascistes au Canada dans l’édition de janvier 1938 des Pamphlets de Valdombre (p. 95). On sait que Lambert s’est brouillé avec Arcand en mai 1938. Cette dispute est peut-être une des raisons qui a mené Grignon à ridiculiser Arcand quelques mois plus tard dans les Pamphlets (édition de septembre 1938, p. 441-444, 454-455).
Au début juillet 1938, le Parti national social chrétien a fusionné avec divers mouvements fascistes canadiens pour former le Parti de l’unité nationale du Canada. Adrien Arcand en a été élu le chef. La Deuxième Guerre mondiale a cependant nui au succès de ce parti. Adrien Arcand a été arrêté en mai 1940 et a passé près de cinq ans en camp d’internement. Si la détention apporta son lot de malheurs, elle permit à Arcand de peaufiner ses talents en peinture. Il devint de fait un peintre accompli. A sa libération, Arcand a vite repris la publication de journaux. En 1946, une nouvelle version du Goglu a été lancée, mais n’a pas donné suite à Popeline. Elle a cependant inclus deux courtes nouvelles, elles aussi éditées en feuilleton. Le Cœur torturé de Caroline a été publié en dix parties entre le 30 novembre 1946 et le 25 janvier 1947. Les Souliers enchantés sont parus dans les quatre numéros de février 1947.
Nous choisissons de publier ici Popeline dans un format facilitant la lecture en continu. Nous incluons également les parutions du Corset du mystère encore accessibles. Nous souhaitons montrer le talent dont était doté Adrien Arcand en publiant son œuvre littéraire la plus importante et significative.
Ernest Leblanc
Contribution à la mise en page des extraits du roman sur le site du parti : Andréanne Chabot
http://www.reconquistapress.com/popeline.html