Popeline, parce qu’elle était bien élevée, ne répondit ni oui ni non à l’invitation, mais se leva et se dirigea vers le restaurant du Grec avec un empressement discret. Elle s’assit en face de Jack, dans un petit coqueron en imitation de chêne fumé. Après dix minutes d’attente, on entendit un vacarme semblable à celui d’une maison qui s’écroule. Sauvons-nous ! dit Jack. C’est un tremblement de terre. Je connais ça.

Arrêtez, reprit Popeline. On nous a pas encore servis. C’est pas grand ‘chose, ce sont les élèves de M. Elie qui descendent dans l’escalier. Ça c’est un homme d’affaires, M. Elie. Il n’enseigne qu’aux malades parce qu’il veut leur vendre ses remèdes. Voyez vous, tous les élèves traversent la rue avec leur prescription. Mais, entre nous autres, c’est pas une vraie pharmacie, ils ne développent même pas les films. Avec tout ça, on vient pas nous servir Et Popeline frappa légèrement avec le sucrier sur la vitre de la petite table. Une serveuse s’approcha nonchalamment.

-Dépêche-toi pas, on est pas pressés, dit Popeline d’un air faché en toisant la serveuse.

-On n’a vu d’autres que toi, fais pas ta frappée, riposta la fille au tablier blanc. 

– Tu sais pas à qui tu parles, dit encore Popeline. Je peux te le faire savoir espèce d’effrontée. Si je vas voir ton boss, dix pieds puis une slide, ça sera pas long. Hein ! tu te fermes la suce, à cette heure! Passe-moi la carte.

La serveuse tendit le menu à Popeline qui, satisfaite de l’avoir fait taire, colla sa gomme sous la petite table. Jack l’imita et il demanda:

-Qu’est-ce que vous prenez ?

-Un banana split avec du fodge au chocolat. -Et vous ? demanda-t-elle en toussotant.

-Moi? Oh… un cherry smash à quinze cents. La serveuse revenait cinq minutes plus tard, avec les deux commandes et la note, que Jack avait saisie des yeux. Sur son cinquante cents, il revenait cinq cents qu’il voulut un moment prendre, mais sans en avoir le temps, car la serveuse avait retiré le plateau.

-Pousse-toi, pousse-toi, écœurante, lui dit Popeline pendant qu’elle s’éloignait. Puis, s’adressant à Jack: « Pensez-vous que j’y ai donné ça. Faut pas se laisser emplir, vous savez. Ces fraîches là, donnez-leur un pouce et y vont prendre une verge. >>

Jack souriait et contemplait d’un oeil goulu la jolie Popeline, dont la petite scène coléreuse avait allumé la prunelle et empourpré les pommettes. Il tirait sans effort son cherry smash par la paille de papier ciré qu’il tenait dans le coin de ses lèvres pour se faire la bouche plus petite. Un délicieux bruit de glouglou accompagnait la succion de la paille, et quand Jack sapait on pouvait dire que quelque chose se passait dans son cœur. De son côté, Popeline, après avoir mangé d’abord la cerise et le fodge au chocolat, enfournait les moitiés de banane pour arriver plus vite à la crème à la glace. Celle-là n’était pas pasteurisée. « Elle n’est pas safre mais elle m’aime sans doute et elle apprécie ce que je lui paie», pensait Jack.

Cette pensée roulait encore dans sa tête quand la porte en screen d’en avant claqua. Jack laissa échapper un cri: «Sirop Lafrance!»

En effet, c’était Ernest dit « Sirop » Lafrance qui entrait. Sirop entendit le cri et se dirigea vers le couple.

– Mon vieux Jack!

– Mon vieux Sirop ! Ya si longtemps qu’on s’est vus. Qu’est-ce que tu fais par ici? 

-Toutes sortes de choses. Tu m’introduis pas ta blonde ?

Contribution à la mise en page des extraits du roman sur le site du parti : Andréanne Chabot

http://www.reconquistapress.com/popeline.html

Numéros antérieurs : https://www.partinationalistechretien.com/?cat=29

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