« Quelle est donc la source de nos maux ? Car sans motif, sans cause appréciable, tous les Hellènes n’auraient pas jadis embrassé avec tant d’ardeur la liberté, ni maintenant la servitude. Il régnait alors, ô Athéniens ! il régnait dans le cœur de tous les peuples un sentiment éteint aujourd’hui, sentiment qui triompha de l’or des Perses, maintint la Grèce libre, demeura invincible sur terre et sur mer, mais dont la perte a tout ruiné, et bouleversé la patrie de fond en comble. Quel était-il, ce sentiment? Était-ce le résultat d’une politique raffinée? Non : c’était une haine universelle contre les perfides payés par ceux qui voulaient asservir la Grèce ou seulement la corrompre. (…) Mais, de nos jours, tout cela s’est vendu comme en plein marché. (…) En vaisseaux, en troupes, en revenus, en ressources diverses pour la guerre, en tout ce qui fait la force d’un État, nous sommes beaucoup plus riches que nous n’étions alors : eh bien ! tous ces avantages sont paralysés, anéantis par un infâme trafic » – Démosthène, Troisième Philippique, (36-40), 341AVJC.

Dès le IVème siècle AVJC Démosthène, appelant ses concitoyens athéniens à réagir devant les avancées macédoniennes en Grèce, posait le constat suivant : la Grèce qui ne fut jamais aussi riche, mais elle semble être devenue incapable de défendre sa propre civilisation. Une décadence morale aurait neutralisé toutes ses forces, et paralysé tous les bienfaits que lui aurait apportés son développement économique. Comment comprendre une telle situation ?

Nous avons avons étudié la dernière fois l’hypothèse posée par Ernest Renan dans L’Avenir de la science (voir « Qu’eût fait Napoléon avec des raisonneurs ? ») : le développement d’une civilisation et son raffinement (étant comprise dans ce raffinement la « curialisation de la société » de Norbert Elias ; voir De l’ensauvagement et la pacification des sociétés européennes : « Et Louis XIV inventa Instagram » ) engendrerait l’émergence et le renforcement constant de la conscience individuelle ainsi qu’une rationalisation générale de la vie, jusqu’à un point où les individus rationnels et civilisés en viennent à ne plus être en mesure de pouvoir défendre leurs propres civilisations. L’homme civilisé « dit Moi avec une énergie sans pareille », « tient (…) profondément à la vie », « en fait trop d’estime pour la jouer au hasard », disait Renan. Aussi, sa civilisation finit par s’effondrer sous les coups de boutoirs d’une autre civilisation, une civilisation « barbare », qui sera à son tour amenée au cours de son développement à suivre la même trajectoire, et s’effondrera en bout de course pour les mêmes raisons.

Cette hypothèse, si elle venait à correspondre à la réalité des dynamiques civilisationnelles, serait lourde de conséquences. Ainsi que l’affirmait Renan : « Si l’humanité est ainsi faite qu’il y ait pour elle des illusions nécessaires, que trop de raffinement amène la dissolution et la faiblesse, que trop bien savoir la réalité des choses lui devienne nuisible, s’il lui faut des superstitions et des vues incomplètes, si le légitime et nécessaire développement son être est sa propre dégradation, l’humanité est mal faite, elle est fondée sur le faux, elle ne tend qu’à sa propre destruction, puisque ceux qui ont vaincu grâce à leurs illusions sont ensuite entraînés forcément à se désillusionner par la civilisation et le rationalisme. Notre symbole est de la sorte détruit ; car notre symbole, c’est la légitimité du progrès ».

Nous avons la dernière fois (voir « Qu’eût fait Napoléon avec des raisonneurs ? ») esquissé un parallèle entre la période de fin de la civilisation grecque et notre époque, présentant des individus imprégnés de conceptions relativistes et individualistes. La question qui vient nécessairement suivre cette comparaison est celle de la possibilité d’une chute, similaire à celle que connut la civilisation grecque, de notre civilisation : la civilisation Occidentale ou « civilisation chrétienne » (« La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion » [André Malraux, Note sur l’Islam, 1956]). Il nous semble cependant nécessaire de nous pencher avant cela plus directement sur la trajectoire que connut cette civilisation, et les différentes étapes de son parcours (dans la même optique, voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées »).

 

 

NAISSANCE ET APOGÉE DE LA CIVILISATION CHRÉTIENNE : DU CHRISTIANISME ANTIQUE À LA RENAISSANCE

Il semble évident de fixer l’émergence de la civilisation chrétienne à la naissance de Jésus. La réalité est cependant plus complexe ; la civilisation chrétienne n’est pas apparue en Europe à partir de rien, et son succès sur ce continent peut s’expliquer par une multitude de facteurs. L’un d’eux était le fait que la doctrine chrétienne ait pu s’insérer dans le cadre de conjonctures intellectuelles et religieuses favorables, que connaissait l’Europe greco-romaine avant son émergence. La civilisation grecque est connue pour être une civilisation affirmant clairement sa supériorité culturelle sur le reste de l’humanité, théorisant une séparation stricte entre les grecs « civilisés » et les non-grecs « barbares ». Cette vision du monde fut effectivement celle qui prima durant des siècles, mais elle s’effaça complètement à partir de la période hellénistique (le « monde grec post-Alexandre ») avec le développement de nouvelles théories, dont le stoïcisme qui nous intéresse tout particulièrement ici. Le stoïcisme, fondé par Zénon de Cition au IIIème AVJC, développe l’idée d’un monde gouverné par un ordre naturel autonome et transcendant. Dieu, ou le « Logos » (la « Raison universelle »), anime le monde, l’idéal du stoïcien étant de parvenir à se conformer à l’ordre naturel/divin et à participer ainsi à son accomplissement. De plus, cet idéal stoïcien est bâti sur une anthropologie explicitement cosmopolite, étant affirmée l’appartenance à une « citoyenneté universelle » et l’égalité fondamentale de tous les êtres humains, égaux par la Raison dont ils disposent tous et qu’ils tiennent de la Raison universelle/Logos/Dieu : il n’est plus question ici d’une supériorité intrinsèque des grecs. C’est par ailleurs le fait que la Raison humaine soit de même nature que la Raison universelle/Logos/Dieu qui permet aux humains de pouvoir connaître la « loi naturelle » et comprendre le fonctionnement du cosmos, afin de s’y conformer.

Une nouvelle forme de stoïcisme (plus axée sur la politique, que rejetaient les stoïciens grecs) jouait un rôle considérable dans la Rome des premiers siècles, avec des penseurs comme Sénèque, Épictète ou l’empereur Marc-Aurèle. En parallèle, l’Empire romain connaissait une dynamique religieuse originale, voyant l’abandon progressif de la religion traditionnelle (par l’élite comme la base de la population) au profit de pratiques religieuses syncrétiques inspirées de cultes orientaux. Petit à petit, les tendances religieuses romaines tendirent de façon endogènes vers le culte d’un dieu unique : « Les tendances syncrétiques qui paraissent épurer le panthéon gréco-romain et oriental s’accentuent au IIIème siècle, et les préférences personnelles des empereurs font presque apparaître un dieu officiel suprême, qui pourrait être Jupiter ou le Soleil, ou la synthèse des deux : en pays grec, Zeus-Hélios-Sérapis est qualifié de dieu unique » (Larousse). Dans ce contexte, il semble raisonnable d’affirmer que le succès du christianisme ne fut pas purement fortuit et n’est pas seulement le fruit d’une dynamique conjoncturelle.

Si les apports du judaïsme furent aussi bien réels dans la constitution de la doctrine chrétienne (idée d’attente messianique, nouvelle conception de l’individu, idée d’immortalité…), le christianisme n’étant bien entendu pas qu’un simple « stoïcisme rénové », il faut garder en tête que de nombreux exégètes juifs avaient été « contaminés par l’hellénisme et la philosophie platonicienne » (Larousse) au cours de la période hellénistique, rendant en définitive la généalogie des idées ayant influencées et déterminées le christianisme parfois bien ardue.

Quoi qu’il en soit, et comme nous l’avons déjà affirmé (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées »), il nous semble cohérent d’affirmer que le « christianisme des origines », la doctrine chrétienne telle qu’affirmée par les premiers chrétiens (Saint Paul de Tarse, Origène, Tertullien, Clément d’Alexandrie…) ou les quatre premiers docteurs de l’Église (Saint Augustin d’Hippone, Saint Ambroise de Milan, Saint Jérôme de Stridon, Grégoire Ier le Grand), correspondait à ce que l’on peut qualifier de « christianisme platonicien ». Les premiers chrétiens divisaient en effet le monde en deux entités (on parle de « dualisme ») aux noms variables (« monde terrestre » et « monde céleste » ; « cité des hommes » et  « cité de Dieu » ; « cité terrestre » et « cité céleste »). La première symbolisait la réalité « empirique », « terrestre » ou « humaine », et se trouve généralement présentée comme un illusion de laquelle il faudrait se détacher, se libérer, pour pouvoir se rapprocher de la seconde, le « royaume de Dieu », seule réalité « véritable » à laquelle il faut s’attacher. Cette dichotomie, au cœur de la pensée des premiers chrétiens, fait directement référence à la cosmologie platonicienne, qui divisait le monde entre un « monde intelligible » dans lequel évoluent les humains et qu’ils prennent pour la réalité, tout en n’étant que le reflet du « monde des Idées » qui serait la seule et véritable réalité et à laquelle n’ont accès que les philosophes (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées »). Cette référence platonicienne des premiers chrétiens, qui firent du « monde des Idées » le « royaume de Dieu » en s’inspirant en conséquence la dichotomie du philosophe, est clairement explicite chez des penseurs comme Origène ou Saint Augustin. La conception du christianisme comme doctrine attachée au « royaume de Dieu », seule réalité qui compte, au mépris du monde terrestre sur lequel ce qui se passe n’a en définitive que peu d’intérêt en soi, resta la conception majoritaire jusqu’à l’avènement de la doctrine thomiste.

Saint Thomas d’Aquin marqua véritablement une rupture dans la pensée chrétienne à partir du XIIIème siècle. Il s’opposa au dualisme de Saint Augustin, hérité de Platon, au nom de la réhabilitation d’Aristote (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées »). C’est ainsi que nous considérons Saint Thomas d’Aquin comme l’initiateur de cette nouvelle étape dans la pensée européenne, le « christianisme aristotélicien ». Le point fondamental de la divergence de ces deux conceptions du christianisme revient au désaccord épistémologique entre Platon et Aristote sur l’origine de la connaissance. À la suite d’Aristote, Saint Thomas met en avant son origine empirique : tout savoir part de l’expérience, la connaissance est le fruit d’une extrapolation et d’une généralisation faite à partir de l’expérience, tout savoir part d’une donnée empirique. Cette conception de la connaissance est à l’opposé de celle de Platon, suivi par Saint Augustin, qui rejetait la pertinence de l’expérience en mettant en avant le fait qu’elle ne pouvait avoir lieu que dans le cadre du « monde intelligible », qui n’est en définitive qu’une illusion. L’expérience n’a donc qu’une valeur très limitée, et toute connaissance ne peut être que transcendante (par l’accès au « monde des Idées », ou par la « cité céleste » chez Saint Augustin). Avec le christianisme aristotélicien, la place de l’empirisme et du « monde intelligible », de la « cité terrestre », est réhabilitée. Quand le « christianisme platonicien » rejetait foncièrement le « monde intelligible », illusion de laquelle il faut se détourner pour avoir accès à Dieu, le « christianisme aristotélicien » présente l’expérience empirique comme fondement de toute connaissance, et fait par là-même de l’expérience terrestre un point de départ de la connaissance de Dieu.

Cette réhabilitation du « monde intelligible » par le « christianisme aristotélicien » est le chaînon manquant qui permet de passer d’une Europe dominée par le « christianisme platonicien »  à l’Europe de la Renaissance, centrée sur la vie dans le « monde intelligible » (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées »). Roberto Losada Maestre, dans son chapitre consacré à la Renaissance dans l’ouvrage Sobre política, définit essentiellement la Renaissance comme une époque au cours de laquelle les européens commencèrent à « valoriser précisément ce qu’il y a de plus humain dans la vie, (…) et non le transcendant qui a absorbé les angoisses des hommes médiévaux ». Il continue : « Les hommes de la Renaissance commencent à s’intéresser de plus en plus à leurs semblables et à eux-mêmes, à leur environnement, celui d’ici, celui du moment présent, et ils ne se soucient pas tellement de la vie éternelle, de ce qui transcende la réalité dans laquelle ils vivent, de l’autre monde. (…) La Renaissance, si elle peut être caractérisée par quelque chose, l’est par sa rupture des limites de la pensée médiévale qui permet de commencer à apprécier la vie humaine qui se vit sur Terre, la vie “vulgaire”, celle d’ici, celle qui ne connaît que les limites de l’espace et le temps que ce monde lui donne, et qui n’a besoin d’aucune référence à un monde transcendant pour être comprise. La vie humaine a une dignité qui était niée au Moyen Âge. Le “contemptus mundi” a pris fin, contredisant Jean, qui exhortait à ne pas aimer “le monde ou les choses du monde” : les hommes peuvent maintenant (et devraient) s’enthousiasmer à propos de leur vie terrestre ».

La civilisation chrétienne est apparue et a prospéré durant une dizaine de siècles sur la conviction, née à la fois dans les Évangiles et la pensée platonicienne qui inspira explicitement les premiers penseurs chrétiens (nous parlons ainsi de « christianisme platonicien »), que le monde d’ici-bas n’était qu’une illusion dont il fallait se libérer pour avoir accès au seul monde qui importe vraiment, à la seule réalité : celle de la transcendance. La critique formulée par Aristote contre son maître Platon dès le IVème siècle AVJC refit surface à partir du XIIIème siècle sous la plume de penseurs comme Saint Thomas d’Aquin, qui réhabilita le monde empirique en faisant de sa connaissance une voie d’accès à Dieu. Cette réhabilitation permit, quelques siècles plus tard et avec la poursuite de la redécouverte de l’héritage gréco-romain, un total renversement de la conception du monde des européens. Après des siècles de rejet du « monde intelligible », l’importance de la vie terrestre fut placé au cœur de la Renaissance, éclipsant toute référence à la transcendance dans la représentation du monde et des choses politiques à partir de Machiavel et Hobbes (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées ») et allant jusqu’à, et explicitement à partir de la Révolution française, se positionner à l’encontre de la religion et de la dialectique chrétienne, cœur de la civilisation européenne depuis pourtant près de quinze siècles.

Dans l’ordre : Platon, Jésus, Machiavel

Extrait de la fresque « L’école d’Athènes » réalisée par Raphaël (1512). Platon et Aristote sont représentés au centre du tableau, débattant sur l’origine de la connaissance. Platon montre du doigt le ciel, en référence à sa théorie des idées et à la recherche de la vérité dans le « monde des Idées », tandis qu’Aristote désigne la terre, symbole de la recherche de la vérité dans le monde immanent et par l’expérience terrestre.

LA CIVILISATION CHRÉTIENNE ET LA « RÉVOLUTION MODERNE »

Pour évoquer la Modernité, nous repartons de la définition de Philippe Bénéton déjà évoquée précédemment (voir « De la légitimation de l’ordre politique à travers l’Histoire des idées ») : « L’unité de la philosophie politique Moderne tient à un même refus : la modernité rejette comme irréaliste et néfaste toute la tradition antérieure. Plus profondément, ce rejet s’appuie sur quelque chose de commun que l’on peut appeler “l’esprit Moderne” et qui travaille en ce sens : l’émancipation de la volonté ». Dans une même optique, Antoine de Crémiers définit la Modernité en la synthétisant comme un double mouvement : celui de « l’émancipation de la volonté » (la volonté est seule créatrice du sens, rejet de la transcendance et de tout déterminisme) et de « l’autonomisation de la raison » (rejet du principe de finalité et de toute explication transcendantale, tout doit être organisé à partir de la raison humaine seulement). Il précise : « L’idéologie de la Modernité entend concilier, et confondre dans un même mouvement, un individu autonome, qui se donne à lui-même sa propre loi (enfin dégagé de ses appartenances de toute espèce, du finalisme religieux et traditionnel), et deuxièmement la Raison universelle, tout à la fois outil de cette émancipation et principe d’unité hétéronome qui transcende les particularismes ».

Antoine de Crémiers met aussi en avant un point fondamental concernant l’analyse de ce phénomène qu’est la Modernité : « La Modernité n’est pas d’abord une époque, c’est un état d’esprit ». Si l’histoire de la pensée est souvent présentée comme celle d’une succession d’étapes (pensée Antique, Chrétienne, Moderne et « Scientifique », voir « Pour une réhabilitation de la philosophie politique »), il met en avant un point fondamental qui vient nuancer cette présentation : la Modernité est « un ensemble organique de principes qui agissent dans le temps (libre examen, individualisme, immanence etc), comme idéologie, comme révolte. Elle est de tout temps ». Les principes qui animèrent la Modernité et définis précédemment ne sont en effet pas des innovations, pensés pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité dans l’Europe de la Renaissance et des Lumières. Comme le précise de Crémiers avec l’exemple du sophiste Alcidamas (présenté comme l’un des premiers contractualistes), l’idée de « contrat social », si caractéristique de la Modernité et qu’on nous présente comme la formidable invention du trio Hobbes/Locke/Rousseau, était déjà présente dès l’Antiquité et a couru tout le long de l’Histoire. Yves Barel, dans son ouvrage La Quête du sens, va même jusqu’à présenter la pensée contractualiste comme « un lieu commun de la pensée grecque du Vème siècle ». De la même manière, il est possible par une approche comparée de la philosophie politique, de distinguer les traces d’une pensée contractualiste dans la Chine des Royaumes Combattants (« 战国 », « Zhànguó »), dès le IVème siècle AVJC, avec Mozi (« 墨子 ») et toute l’école moïste (« 墨家 », « Mòjiā »), ou encore dans le Japon du XVIIIème siècle avec des penseurs comme Kaiho Seiryō (« 海保 清陵 »), disciple d’Ogyū Sorai (« 荻生 徂徠 », voir « Le Japon est un coquillage : De 1641 à 1853 (2/2) »).

 

« L’idée de contrat social est née de l’approche historique que les Grecs du Vème siècle ont tenté de faire du problème social, parallèlement à leur approche philosophique de la nature du lien social. Cette approche historique a consisté à imaginer une époque primitive de l’humanité, un état de nature où n’existent encore ni société, ni lois, ni cité, ni langue, ni techniques. À un moment donné, cet état de nature conduit à des difficultés et à des drames. Pour surmonter ces difficultés, les hommes ont inventé la société et tout ce qui s’y rattache. (…) Il ne semble pas que les Sophistes aient été les seuls, ni même les premiers, à se représenter ainsi l’histoire des hommes et la genèse de la société. Il s’agit davantage de ce que l’on pourrait presque appeler un lieu commun de la pensée grecque du Vème siècle. Mais il revient sans doute aux Sophistes d’avoir amplifié et précisé le thème. » – Yves BAREL, « 2 – La cité prend la parole », La quête du sens, 1987.

 

« L’époque actuelle est un retour à l’Antiquité des temps où l’humanité venait à peine de naître et où il n’y avait encore ni chef ni recteur. On disait alors : “Sous le Ciel, chacun son sens du juste”. Si bien que pour un homme il y avait un sens, pour dix hommes il y en avait dix, pour cent hommes il y en avait cent. (…) Du fait qu’il n’existait pas de distinction entre souverains et sujets, supérieurs et inférieurs, (…) le désordre régnait dans le monde. (…) Voilà pourquoi on finit par choisir un homme doué des meilleurs qualités (…) pour l’établir comme Fils du Ciel, de telle sorte que toutes les actions se firent en vertu d’un sens du juste unique et commun à tout l’univers » – « Mozi 12 (Shangtong, zhong) », cité dans Histoire de la pensée chinoise, Anne CHENG, 1997 (« 3 – Le défi de Mozi à l’enseignement confucéen »).

 

Pour Antoine de Crémiers, « La Modernité et la Tradition cohabitent depuis toujours. Ils forment en fait ce que l’on appelle en philosophie une “dyade”, c’est-à-dire un ensemble de deux facteurs insécables, indivisibles, qui ne vont pas l’un sans l’autre ». La pensée Moderne et la pensée Traditionnelle ne sont pas deux époques, la seconde succédant à la première, mais deux formes de pensées qui cohabitent toujours nécessairement. Il illustre cette idée avec l’exemple suivant : « Vers 450 AVJC, vous avez une concomitance extraordinaire de Tradition et de Modernité. Dans Antigone, Sophocle fait dire à son héroïne qui s’adresse à Créon : “Ne pas enterrer mon frère, c’est ébranler l’ordre du monde”. Voilà le résumé même de la Tradition, c’est la caractéristique d’une société traditionnelle dont les membres sont liés entre eux par la reconnaissance d’un ordre naturel et/ou divin, transcendant, hors de la portée des hommes. Eh bien en 450, la même année, Protagoras balance le brûlot de la Modernité : “L’homme est la mesure de toute chose” ».

Bien que formant les deux faces d’une même pièce, Modernité et Tradition ne vont évidemment pas dans le même sens ; on peut affirmer que la première se pose en opposition à la seconde, et n’existe en définitive qu’en opposition à elle. Hannah Arendt définissait justement la Modernité comme : « L’assomption de la volonté et le primat de cette volonté sur l’ordre naturel et la Tradition ». La volonté d’émancipation de l’individu et d’organisation « rationnelle » du monde est une aspiration qui ne prend en effet son sens qu’en opposition à une organisation du monde perçue comme brimant cette autonomie et reposant sur la transcendance (religieuse ou cosmologique) et les « stéréotypes irrationnels et infondés que traînent les hommes depuis des siècles ». Antoine de Crémiers citait Charles Péguy : « La Modernité est un parasite. En réalité, avec un aplomb imperturbable, le monde Moderne vit presque entièrement sur les humanités passées, qu’il méprise et feint d’ignorer. La seule fidélité du monde Moderne, c’est la fidélité du parasitisme, car il ne tire sa force – ou son apparence de force – que des régimes qu’il combat, des mondes qu’il a entreprit de désintégrer ».

Cette relation de dépendance entre Modernité et Tradition est une chose capitale à réaliser pour saisir le sens de la trajectoire de la civilisation chrétienne. Si la réhabilitation du « monde intelligible » à partir de la Renaissance et la hausse de l’intérêt à son égard donna naissance à la Modernité, provoquant par voie de conséquence la marginalisation puis le rejet progressif de toute idée de transcendance (et donc de la religion chrétienne), les « hommes Modernes » restent incontestablement emplis de valeurs chrétiennes. Leur regard sur le monde, et toutes leurs actions, sont déterminées par une conception éminemment chrétienne du monde. Comme le met en avant Olivier Roy, malgré la Modernité, la culture et la morale des européens restèrent longtemps fondamentalement chrétiennes : « Avec les Lumières, on change de modèle métaphysique, et même de modèle ontologique, car c’est une autre manière de fonder la vérité, mais on ne change pas de système moral. Jusqu’aux années 1960, la laïcité, c’est du christianisme sécularisé ». Aussi, et bien que la modernité semble s’inscrire contre la tradition chrétienne, la quasi totalité des valeurs qu’elle proclama restèrent incontestablement des valeurs chrétiennes, mais relevant d’un christianisme sécularisé (la « sécularisation » comprise au sens de « l’autonomisation progressive de secteurs sociaux qui échappent à la domination des significations et des institutions religieuses » ; définition de Jean Baubérot).

Quelles sont les grandes valeurs de la Modernité ? Les droits de l’homme. L’idéologie des droits de l’homme est construite sur l’idée que chaque homme, parce qu’il est homme, dispose d’une dignité intrinsèque qui doit être respectée par les autres comme par les institutions. Cette conception de l’homme est-elle autre chose qu’une version sécularisée de l’idée que tout homme, parce qu’il est à l’image de Dieu, est digne par nature ? « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance […]. Et Dieu créa l’homme à son image ; il le créa à l’image de Dieu : il les créa mâle et femelle. » (Genèse, 1, 26-27). « Liberté », liberté des hommes d’embrasser ou de refuser Dieu, de choisir entre le Bien ou le Mal, puis liberté de mener sa vie selon sa volonté individuelle. « Égalité », égalité en dignité de tous les hommes devant Dieu, peu importe leurs conditions, car il est leur « Père » à tous, puis égalité devant le loi. « Fraternité », fraternité de tous les hommes, frères car tous enfants du Seigneur, puis fraternité dans l’appartenance à la nation. L’universalisme républicain et le principe d’égalité entre les hommes et les femmes est-il autre chose qu’une sécularisation du principe suivant : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni maître, ni esclave, ni homme, ni femme. Vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus » (Lettre aux Galates 3, 28). L’idée de séparation entre le fait religieux et le pouvoir temporel, qui déboucha au XIXème siècle en France sur l’idée de laïcité, est-elle elle même autre chose qu’une émanation de cette célèbre phrase de Jésus : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu 22, 21 ; Marc 12, 17 ; Luc 20, 26) ? L’État-providence et la redistribution, et par là-même les fondements du socialisme, sont-ils autre chose qu’une sécularisation de la charité chrétienne ? Jadis, l’Église soignait les malades et nourrissait les affamés au nom de la dignité de chaque être humain et de la fraternité universelle ; désormais l’État organise la sécurité sociale et redistribue les richesses au nom de principe en définitive très peu éloignés. L’utopisme communiste et l’attente d’un monde nouveau, où les hommes seront enfin débarrassés de leur condition, est-il autre chose qu’une sécularisation de l’eschatologie et du millénarisme chrétien ? Dans un contexte de sécularisation, l’attente religieuse d’un « monde idéal débarrassé du péché » s’est reporté sur la seule réalité qui restait, la réalité terrestre, et les hommes qui ne croyaient plus au ciel ont commencé à tenter de bâtir le paradis sur terre à travers la construction d’une « société parfaite » : c’est la naissance des grandes utopies Modernes, qui engendrèrent le totalitarisme.

La Modernité rejeta l’apparence du christianisme, mais elle en garda l’anthropologie et les préoccupations. Comme le reconnaissait l’auteur du Traité d’athéologie Michel Onfray, dans notre culture européenne Moderne, « Ce qui s’oppose au christianisme relève du christianisme ». Cependant, ces valeurs chrétiennes évoluèrent dans un environnement sécularisé, voire même ouvertement anti-chrétien : les valeurs se sont donc trouvées séparées du dogme et de la tradition dans lesquelles elles s’inséraient. Elle finirent ainsi petit à petit par se dévoyer, et perdre leur cohérence et leur sens profond. C’est cette situation qui fit dire à Gilbert Keith Chesterton, dans son ouvrage Orthodoxie publié dés 1908 : « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elles vagabondent toutes seules ». Constat d’une grande sagesse, et d’autant plus flagrant plus d’un siècle plus tard. Notre monde contemporain est toujours plein de « vertus chrétiennes devenues folles », mais il est marqué par une différence fondamentale avec celui de Chesterton : la culture et les valeurs communes, qui unissaient jusqu’alors les européens, se sont évaporées.

 

LA POST-MODERNITÉ ET L’OCCIDENT POST-CHRÉTIEN

L’équilibre entre la Modernité et la Tradition, dans l’Europe d’après la Renaissance, se maintint relativement bien durant plusieurs siècles. L’autonomisation de la raison et l’émancipation de la volonté, qui caractérisent la Modernité, cohabitaient en effet avec une culture chrétienne partagée par l’immense majorité de la population, et une foi qui restait importante. Olivier Roy voit dans l’émergence des États modernes, entités séculières par définition, le point de départ du processus général de sécularisation qui aboutit en Europe à la mise en place d’une civilisation « Moderne » dans son organisation, mais qui restait culturellement chrétienne : « Tout État est séculier par principe, et tend à séculariser la religion. Ce processus historique, issu des traités de Westphalie (1648), a progressivement défini une identité chrétienne de l’Europe, en tant précisément que “christianisme sécularisé”, qui s’est longtemps maintenue en dépit de l’affaiblissement des pratiques religieuses. Mais la pertinence de ce concept est à interroger depuis les années 1960 et la rupture du consensus moral qu’il sous-tendait et qui animait auparavant en Occident les consciences à la fois chrétiennes et laïques ».

Olivier Roy (1949 – ), politologue

Roy défend la thèse qu’une rupture considérable dans l’histoire de l’Europe, et de la civilisation chrétienne en général, se produisit à partir des années 60 : c’est le point de départ de la disparition de ce consensus autour de la culture européenne comme « chrétienne sécularisée ». Peut-on donc encore aujourd’hui affirmer que la civilisation européenne est une civilisation chrétienne, même au sens de « chrétienne sécularisée » ? « L’Église catholique pense qu’il n’y a pas d’identité chrétienne sans retour aux valeurs chrétiennes, alors que tant les populistes d’Europe du Nord que les militants laïcs de tout bord défendent, sous le nom d’Europe chrétienne, les valeurs issues de la sécularisation (droits de la femme et des LGBT). (…) Comment peut-on dire que la culture européenne est une sécularisation du christianisme si les valeurs dominantes ne sont plus des valeurs chrétiennes sécularisées ? Que signifie invoquer une référence chrétienne dans l’Europe d’aujourd’hui ? ».

Le constat que pose Roy est implacable : les valeurs et la culture dominante en Europe n’ont effectivement plus grand-chose à voir avec le christianisme. Alors que le continent européen resta longtemps un continent de culture chrétienne organisé à travers des institutions séculières (elles-mêmes déterminées par des préoccupations et conceptions du monde chrétienne, comme nous l’avons vu), les années 60 marquèrent une rupture culturelle qui, aujourd’hui, nous permet d’affirmer que dans sa grande majorité, l’Europe ne constitue plus une civilisation chrétienne. Roy souligne que « À partir de Jean-Paul II, l’Église le dit elle-même clairement : la culture dominante en Europe est une culture “païenne” ». Il poursuit : « Les nouvelles valeurs fondées sur l’individualisation, la liberté et la valorisation du désir ne sont plus des valeurs chrétiennes sécularisées. La liberté de la personne l’emporte sur toutes les normes transcendantes, il n’y a plus de morale naturelle. Il n’y a plus de morale partagée ». Poursuivant l’analyse, nous considérons que cette rupture culturelle des années 60 est aussi à l’origine du passage de « l’époque Moderne » et sa culture chrétienne-sécularisée, à une « époque post-Moderne » dans une Europe peuplée par des individus de « culture post-chrétienne ».

Pourquoi parler d’époque post-Moderne, ainsi que de « culture post-chrétienne » ? De Crémiers souligne que la post-Modernité, pas plus que la Modernité qui n’existait qu’en opposition à la Tradition, ne dispose de définition positive : la « post-Modernité » ne correspond qu’à ce qui vient après la Modernité. Mais pour que quelque chose puisse succéder à la Modernité, cela suppose qu’elle soit terminé. Et c’est le constat que pose, sans ambiguïté aucune, Antoine de Crémiers : « La Modernité est morte ». C’est, selon lui, la prérequis indispensable à adopter pour pouvoir développer une théorie politique pertinente dans le monde contemporain. « La Modernité est morte ». Pourquoi ? Comment ? De Crémiers l’explique d’une façon très simple : après avoir évoqué l’interdépendance entre la Tradition et la Modernité, puis après avoir accepté le constat du décès de la Tradition au niveau des sociétés européennes (visible entre autre par la disparition de la culture « chrétienne-sécularisée » dans l’Europe contemporaine, et bien qu’elle puisse perdurer au niveau individuel), la Modernité ne pouvait que disparaître à son tour. « La Modernité fonctionnant comme un chancre sur le cadavre des Traditions, va disparaître en même temps que la Tradition. À partir du moment où les réserves de Traditions sont mortes, ce qui est la période actuelle, la Modernité inévitablement meurt avec ».

Antoine de Crémiers

Qu’est-ce qui a conduit à cette situation, apparemment inédite dans l’Histoire humaine connue ? De Crémiers décrit une dynamique au sein même de la Modernité : ses deux principes, « émancipation de la volonté » et « autonomisation de la raison », peuvent en réalité s’opposer et tirer dans deux sens contradictoires. De Crémiers affirme qu’« au terme de deux siècles de mise en œuvre, la Modernité échoue. (…) Impossible de tenir en même temps les deux bouts de la chaîne : universel et particulier, autonomie du sujet et ordre collectif, raison objective et raison subjective, normes sociales et liberté de conscience… Dans tous les domaines, les forces de dissolution l’emportent, le périmètre des points communs se rétrécit. Hors des progrès techniques et économiques, toutes les espérances s’étiolent, et la Modernité défaille ». Cette incompatibilité absolue entre les deux pôles qui constituent la Modernité provoque inévitablement des tensions lorsqu’elle triomphe et va au bout de sa logique au sein d’une société, et que ce processus n’est pas arrêté par des événements contingents (comme ce fut par exemple le cas à Athènes).

La Modernité promouvait l’émancipation d’individus qui n’acceptent en bout de course de n’être déterminés que par eux-mêmes et leur propre volonté (« émancipation de la volonté »). Ce phénomène est alimenté par le phénomène d’« autonomisation de la raison » qui remet en cause les traditions héritées des siècles et qui, dans un contexte d’individus autonomes, sert de point commun et maintient la possibilité d’une vie en société par le fait que tous les individus disposent de cette « Raison » et s’accordent sur le fait de faire de cette raison partagée le cœur de la vie en commun, c’est-à-dire entre autre que la société soit organisée d’après des lois et règles valides par leur caractère rationnel. Mais cet équilibre, précaire, a finit par se rompre. La logique d’« émancipation de la volonté » a finit par se retourner contre la Raison, autre pôle de la Modernité. La logique d’émancipation n’est pas capable de s’arrêter d’elle-même, et une fois qu’elle a, à l’aide de la Raison, liquidée l’ensemble de la Tradition qui s’opposait à cette émancipation, ce fut au tour de la Raison d’être considérée comme une opposante à l’« émancipation de la volonté », et elle fut donc la victime suivante. Ainsi est née l’époque post-Moderne, dans laquelle nous vivons désormais.

L’ère de la post-Modernité est donc une époque qui s’érige sur les décombres de l’idéal Moderne. La Modernité a échouée ; on ne croit plus à ses promesses, en particulier l’idée d’un progrès continue de l’humanité dirigée par la science et la Raison. Ainsi que la décrit Antoine de Crémiers, « La post-Modernité, c’est le versant émancipation/autonomie de la Modernité, mais sans la Raison. Sans monde à construire, sans avenir, sans échappatoire, sans finalité, sans espérance ». La mort de la Raison à l’époque post-Moderne se traduit en particulier par le relativisme absolu de la pensée, par l’affirmation commune à toutes les théories post-Modernes mettant en avant le pré-supposé qu’il n’y a pas de vérité mais que des interprétations à partir de son expérience particulière, et que le « discours rationnel » n’est qu’un type de discours qui n’a en soi pas plus de légitimité que n’importe quel autre : naissent alors les mouvements déconstructionnistes évoqués précédemment (voir « Qu’eût fait Napoléon avec des raisonneurs ? »).

Que devient le christianisme, qui reste la matrice de cette civilisation malgré sa dégénérescence, dans le monde post-Moderne ? De la même manière que les préoccupations et valeurs Modernes restaient indéniablement déterminées par les préoccupations et valeurs chrétiennes, les préoccupations et valeurs post-Modernes restent aussi déterminées par celles du christianisme. Mais, évoluant désormais dans un contexte complètement sécularisé où les gens n’ont plus aucune éducation religieuse et dont la culture n’a plus grand-chose à voir avec le christianisme, ces valeurs et préoccupations chrétiennes se retrouvent plus complètement encore isolées de la cohérence apportée par la foi chrétienne : c’est en ce sens qu’il nous semble judicieux de parler de « post-Christianisme ».

Ce qui différencie particulièrement cette époque post-Moderne de la Modernité l’ayant précédée, c’est bien son absence désormais complète de culture et de morale chrétienne (et même de la moindre morale ou culture commune, la post-Modernité ayant relégué la définition de ces éléments à la subjectivité individuelle). L’égale dignité des hommes devant Dieu, qui avait donné l’égalité devant la loi à l’époque Moderne, a poursuivi sa dégénérescence et aboutit à l’époque post-Moderne à l’égalitarisme forcené et à la condamnation et la négation de toute différence, de quelque nature que ce soit, entre les individus : toutes les différences sont acquises (jusqu’aux différences de sexe, ainsi que le met en avant la « théorie du genre »). La liberté de choisir entre le bien et le mal inscrite dans la Bible, qui engendra le désir de « jouissance paisible de son indépendance privée » (Montesquieu) et la « liberté des Modernes » définie par Benjamin Constant au fondement de la théorie libérale, aboutit à l’époque post-Moderne au désir d’auto-engendrement, l’individu refusant toute contrainte extérieur à lui-même concernant ses prises de décisions, et se considérant comme seul porteur et créateur du sens (et jusqu’à la négation de l’idée même de nature humaine, à partir de l’existentialisme sartrien).

Le lien entre post-Modernité et christianisme est particulièrement développé par l’intellectuel américain Joseph Bottum, qui analyse le développement de la culture « woke » au États-Unis comme une manifestation de ce qu’il qualifie de « post-protestantisme », et qui s’incarne par un retour du phénomène religieux dans une société sécularisée telle que la société américaine. Il interprète par exemple l’idée de « privilège blanc » comme l’aboutissement d’une sécularisation du concept de « péché originel », dont l’importance fut considérable dans un protestantisme américain influencé par le calvinisme. Il affirme que « le protestantisme a été le Mississippi qui a arrosé le pays [les États-Unis]. Et c’est toujours le cas ! C’est juste que nous avons maintenant une Église du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. Dans la religion chrétienne, le péché originel est l’idée que vous êtes né coupable, que l’humanité hérite d’une tache qui corrompt nos désirs et nos actions. Mais le Christ paie les dettes du péché originel, nous en libérant. Si vous enlevez le Christ du tableau en revanche, vous obtenez… la culpabilité blanche et le racisme systémique ».

Dans la même optique, le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté met en avant une forme de « transfert d’absolu » et de « sécularisation de la confession » : l’aspiration religieuse étant perçue comme « consubstantielle à l’être humain », la disparition de la religion chrétienne dans la post-Modernité aurait en définitive engendré un progressif transfert de la conscience religieuse vers un nouvel « absolu ». Les Occidentaux post-Modernes, heureux de s’être « enfin débarrassés » de la religion et des curés, se trouvent paradoxalement aujourd’hui avoir transféré leur mode de pensée « chrétien » et leurs aspirations religieuses sur « l’altérité », « les minorités », « l’Autre », et craignent la parole de ces nouveaux curés que sont, d’après Bock-Côté, les journalistes et les universitaires. Le besoin de confession et de pardon pour ses péchés était jusque là assuré par Dieu ; dans un contexte de société post-Modernes où la figure de Dieu a quitté la culture majoritaire, le besoin inconscient de se faire pardonner s’est cependant maintenu, et s’incarne désormais par la repentance permanente devant « l’absolu diversitaire » : c’est la « sécularisation du besoin de confession ». « Il y a une forme de transfert d’absolu. Devant cet absolu aujourd’hui qu’est la diversité et l’altérité, eh bien on se prosterne, on s’agenouille, on demande pardon. On demande pardon au nouvel absolu (…) qu’est l’idéal diversitaire, qui est la possibilité pour l’Occident de se délivrer du fardeau de l’Histoire en acceptant toutes les fautes qu’on lui reproche – et même celles qu’on ne lui reproche pas. Mais il y a toujours la figure de l’absolu dans ce scénario, c’est seulement que la figure de l’absolu s’est déplacée, l’absolu n’est plus au ciel, l’absolu c’est le visage que l’on prête à “l’Autre avec un a majuscule”. (…) On a sacralisé l’absolu diversitaire, et devant cet absolu l’homme Occidental fait pénitence, s’excuse, s’excuse sans cesse, mais ne sera jamais pardonné ».

La post-Modernité tente donc aujourd’hui de bâtir une société sur des nouveaux fondements : émancipation individuelle, méfiance à l’égard de la raison, négation de toute vérité objective… Les post-Modernes, en définitive, remettent en cause la Raison des Modernes pour y substituer une nouvelle foi : une foi issue d’un « néo-Christianisme » dégénéré, issu de siècles d’isolement des « vertus chrétiennes devenues folles ». Mais pour Antoine de Crémiers, « la post-Modernité est à son tour atteinte d’un mal incurable ». « Elle est née de la nécessité de renoncer à toute unité normative, morale et religieuses, dans une société. Et en même temps elle est confrontée à l’impossibilité pratique de se passer de quelque chose qui ressemble à des échelles de valeurs communes. Elle n’a donc d’autre choix que la sacralisation du pluralisme, qui réduit peu à peu le périmètre des points communs et pulvérise le lien social. La seule valeur doit donc rester le pluralisme des valeurs. Nous voilà donc enfin libérés de tout hétéronomie – Dieu, la Raison, l’Histoire, la République, la nation – en cet instant inouï où le couple Tradition/Modernité, dont nous sommes tous orphelins, a disparu. Le moment présent post-Moderne en est le deuil (…). Moment où on peut tout faire, mais où rien n’est possible ». Cette « nécessité de sacraliser le pluralisme » que met en avant de Crémiers explique ainsi l’existence de cet « absolu diversitaire » que condamnait Bock-Côté : il était cependant nécessaire, il ne pouvait et ne peut en être autrement. L’échec de ce « nouvel ordre post-Moderne » semble donc, pour Antoine de Crémiers, évident et écrit d’avance.           

Mais alors, quel avenir pour la civilisation chrétienne ? Si la post-Modernité est condamnée à échouer, que va-t-il se passer ? La Modernité grecque que l’on observait à Athènes ne put aller aussi loin dans son développement, puisque elle fut stoppée par la conquête macédonienne qui fit perdre à la cité sa souveraineté et bouleversa les préoccupations intellectuelles des grecs. L’Occident Moderne, sans doute du fait de sa supériorité technologique et économique par rapport au reste du monde, put poursuivre l’aventure plus loin encore ; mais jusqu’à quand le pourra-t-il ? Et dans le contexte actuel, quel avenir pour la civilisation européenne ?

 

 

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Source : https://www.terrabellum.fr/news/la-civilisation-chretienne-des-evangiles-a-la-theorie-du-genre

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