Depuis quelques décennies, il s’observe dans toute l’Europe des résurgences ouvertement païennes, lesquelles se présentent comme des alternatives à un christianisme essoufflé et à une Église en voie d’effondrement. Ce phénomène n’est pas massif, mais il doit interroger : il séduit malheureusement des âmes ardentes, prêtes au combat, souvent de souche catholique, mais qui ne se retrouvent plus dans le discours actuel de l’Église. Et nous ne pouvons que comprendre cette déception face à une Église trop molle, trop encline au compromis avec le monde, et qui ne semble plus assumer la défense de ceux qui lui ont été confiés. Mais cette déception ne doit pas nous détourner du Christ ni de la Tradition de l’Église. Nous-mêmes, catholiques, somme parfois obligés de revenir à ces sources essentielles pour rester fermes dans notre Foi et nous convaincre qu’il existe une force chrétienne capable de nous garder de l’effondrement moral et doctrinal du siècle. Car le paganisme ne saurait constituer une alternative valable, et sous bien des aspects, elle n’est qu’une supercherie. En effet, nous ne sommes pas en présence du paganisme, mais d’une forme réactualisée qui en est la parodie : le néo-paganisme.

L’illusion de la continuité

Les néo-païens pensent revenir aux traditions ancestrales des Européens sans se rendre compte qu’ils en adoptent une contrefaçon. Les formes prises aujourd’hui par les cultes païens ne sont que des reconstructions de cultes et croyances perdues et sur lesquels nous ne savons presque rien. De fait, les paganismes historiques furent des traditions entièrement orales, qui ont été définitivement perdues au moment où l’Europe est devenue chrétienne jusque dans ses campagnes, à la fin de l’époque carolingienne. Pour qu’il y ait héritage, tradition, il faut recevoir d’une génération antérieure un dépôt ; or la totalité des ancêtres des Européens actuels furent des chrétiens, et ce depuis plus d’un millénaire. Les néo-paganismes relèvent donc du constructivisme le plus artificiel (parfois appelé reconstructionnisme), bricolés à partir de quelques sources historiques très suspectes, puisque pour beaucoup écrites par des chrétiens. Les fameux Edda, par exemple, qu’il s’agisse de l’Edda « poétique » ou celui de Snorri, relatifs à la mythologie nordique, sont l’œuvre de chrétiens islandais du XIIIe siècle. Les quelques éléments de mythologie glanés dans ces écrits médiévaux ne peuvent nous renseigner avec exactitude sur la réalité des croyances païennes d’Europe, qu’elles soient celtes, nordiques ou germaniques. Les paganismes grec et romain sont mieux connus, mais ce sont aussi ceux qui ont disparu le plus tôt en faveur du christianisme. La situation est encore plus problématique pour la question du culte, qui nous échappe presqu’entièrement. Il n’y a ainsi rien d’étonnant à ce que la « redécouverte » du paganisme européen soit l’œuvre de philologues et savants du XIXe siècle [1] : il fallait déployer des trésors d’ingéniosité, être un fin archéologue pour tenter d’en retrouver quelques vestiges. Ensuite, pour que ces redécouvertes puissent faire à nouveau l’objet d’une croyance, ces quelques connaissances furent mêlées à des pratiques occultistes, et plus tard, dans la seconde moitié du XXe siècle, à la mouvance New Age, notamment sous sa forme Wicca et néo-druidique [2]. On ne trouve rien de tangible dans ces derniers mouvements, lesquels se contentent le plus souvent de promouvoir une spiritualité diffuse, faite d’écologie et d’harmonie avec la nature, le tout teinté de sorcellerie et de chamanisme.

Voir également : Le New Age, poison lent de l’Occident ou comment l’homme national, sous couvert de (((libération))), est détrôné par l’homme globalisé bien dressé en homme-soja

Plus intéressant sont les néo-paganismes qui se veulent la résurgence (mais qui en sont une pâle et impossible imitation) de paganismes anciens, en lien avec l’identité d’un peuple ou d’un territoire historique. Chaque région d’Europe possède en conséquence sa version : l’hellénisme pour la religion grecque antique et son panthéon de Douze dieux (interdite par l’empereur Théodose en 392 et 393) ; l’Ásatrú (« croyance en les Ases », divinités nordiques) pour le paganisme scandinave, qui tire ses enseignement des sagas islandaises et des Edda, et qui jouit de plusieurs reconnaissances étatiques [3] ; la rodnovérie (du mot russe pодноверие, qui signifie « la foi originelle »), qui est le néo-paganisme slave, principalement russe, mais qui a aussi ses déclinaisons polonaises, avec le Watra [4]. En France, le mouvement néo-païen a été largement défendu par la « Nouvelle Droite » [5], à partir des années 70 et 80, avec des figures de proue comme Dominique Venner ou Pierre Vial, fondateur de l’association Terre et peuple et partisan d’une vision « folkiste » du paganisme, ainsi qu’Alain de Benoist, d’avantage défenseur d’un « ethno-différentialisme » entre les peuples [6]. L’idée serait de défendre la spécificité des peuples, contre un mondialisme cosmopolite, individualiste, libéral, uniformisateur, à l’œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. D’où l’importance de la communauté et de la région, bases de l’autonomie et de l’identité. Mais qu’il s’agisse de sa version « spiritualité ouverte et tolérante », ou de sa version ethnique et identitaire [7], le néo-paganisme se présente toujours comme une alternative au christianisme. Pourtant, la seule et véritable tradition des Européens ne peut être que chrétienne.

La véritable tradition des ancêtres

Une idée centrale des néo-païens est de dire que ce retour au paganisme est un retour à la véritable tradition des Européens, les croyances des ancêtres. Mais cette idée est aussi une supercherie. Le paganisme historique n’est pas seulement perdu : il n’a aucune consistance. Jamais le paganisme historique n’a été une croyance clairement définie et communément partagée par tous les Européens d’une région. Le paganisme était un agglomérat de croyances tribales : ce ne fut jamais une religion, au sens d’un système de croyances unifié. À ce titre, seul le christianisme a été une religion en Europe : la religion de l’Europe. Sans le christianisme, il n’y a pas d’Europe [1].

C’est à cet ordre que donnent leur assentiment beaucoup de peuples barbares qui croient au Christ : ils possèdent le salut, écrit sans papier ni encre par l’Esprit dans leurs cœurs, et ils gardent scrupuleusement l’antique Tradition, croyant en un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et au Christ Jésus, le Fils de Dieu… [2

Les néo-païens arguent parfois du fait que le christianisme serait une religion « importée » d’ailleurs, une croyance héritée du monothéisme hébraïque et donc fondamentalement sémite. À ce titre, le christianisme serait « allogène », sans rapport avec les croyances primitives des Européens. D’un point de vue purement factuel, c’est vrai : le christianisme est né en Judée, et il a essaimé rapidement autour de la Méditerranée, jusqu’à atteindre l’Europe où il a pénétré à partir de l’Italie et de la Grèce principalement. C’est que le christianisme avait une mission providentielle : intégrer dans l’économie du Salut des populations européennes en perdition spirituelle. Le christianisme était destiné autant aux Judéens qu’aux païens, comme le montre le Christ lui-même, émerveillé par la foi d’un centurion romain (Matthieu 8, 10-13) :

Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : “En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël. Eh bien ! je vous dis que beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux, tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents.’’

https://www.levangile.com/bible-sac-40-8-11-complet-contexte-non

Cette parole du Christ montre qu’il n’est pas venu que pour les Judéens et valide la mission du christianisme auprès des païens, “de l’Orient à l’Occident”. Cette idée a été confirmée par les Docteurs, notamment Eusèbe de Césarée :

Nombreux sont les témoignages de l’Écriture montrant que les nations païennes n’ont pas reçu moins de grâces que les Judéens. Si les Judéens […] participent à la bénédiction d’Abraham, l’ami de Dieu, parce qu’ils sont ses descendants, rappelons que Dieu s’était engagé à donner aux païens une bénédiction semblable non seulement à celle d’Abraham, mais encore à celles d’Isaac et de Jacob. Il a prédit explicitement, en effet, que toutes les nations seront bénies pareillement et il invite tous les peuples à une seule et même joie avec ces bienheureux amis de Dieu : « Nations, réjouissez-vous avec son peuple » (Dt 32,43) et encore : « Les princes des peuples se sont rassemblés avec le Dieu d’Abraham » (Ps 46,10). […] Dieu régnera aussi sur les autres peuples : « Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi  » (Ps 95,10) et encore : « Dieu règne sur les Gentils » (Ps 46,9) [3].

Par son message et sa diffusion, le christianisme s’adressait directement aux païens, comme le déclare l’Évangile en plusieurs endroits, notamment à travers cette parabole (Matthieu XXII, 1-14) :

Et Jésus se remit à leur parler en paraboles : “Il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais eux ne voulaient pas venir. De nouveau il envoya d’autres serviteurs avec ces mots : “Dites aux invités : Voici, j’ai apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été égorgés, tout est prêt, venez aux noces. Mais eux, n’en ayant cure, s’en allèrent, qui à son champ, qui à son commerce ; et les autres, s’emparant des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi fut pris de colère et envoya ses troupes qui firent périr ces meurtriers et incendièrent leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux départs des chemins, et conviez aux noces tous ceux que vous pourrez trouver. Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins, ramassèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noces fut remplie de convives. “Le roi entra alors pour examiner les convives, et il aperçut là un homme qui ne portait pas la tenue de noces. Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? L’autre resta muet. Alors le roi dit aux valets : Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres : là seront les pleurs et les grincements de dents. Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.

https://www.levangile.com/bible-sac-40-22-1-complet-contexte-oui

Dans cette parabole, la noce que le roi célèbre pour son fils est l’œuvre de salut que Dieu commande à son Fils, le Christ, désigné comme l’Époux (Matth. IX, 15). Lorsque les habitants de la ville eurent dédaigneusement décliné l’invitation des envoyés du roi, celui-ci envoya chercher tous ceux qui se trouvaient aux carrefours, les mauvais comme les bons ; et la salle fut remplie. L’exégèse explique que c’est là le symbole de la réprobation des Judéens qui ont refusé l’Évangile, et de la vocation des païens. Mais la répression du roi envers les habitants qui ont massacré les envoyés fut aussi lue comme le devoir pour l’Église de châtier ceux qui avaient persécuté ses missionnaires.

Dans les Actes des Apôtres, saint Paul, traditionnellement attaché à la conversion des païens, d’où son titre d’« Apôtre des Gentils », fit reproche à saint Pierre de continuer à respecter les traditions hébraïques pour ne pas scandaliser les Judéens, alors que le christianisme était précisément venu dépasser ces traditions (Ga. 2,11). Pareillement, lors du « Concile de Jérusalem », les apôtres décidèrent de ne pas maintenir l’observance de la Loi mosaïque pour les chrétiens issus du paganisme (Actes 15, 28-29). Certains Docteurs ont même considéré que les païens s’étaient convertis plus “entièrement” que les Judéens, dans la mesure où ces derniers s’étaient « endurcis » et « repliés sur la lettre » [4], et que beaucoup avaient rejeté l’Évangile, jusqu’à empêcher la prédication aux païens accomplie par les premiers apôtres [5].

Il ne faut donc pas croire que les païens d’Europe soient devenus chrétiens malgré eux. Certains néo-païens accusent l’Église d’avoir « persécuté » les païens pour imposer sa religion monothéiste et allogène. Ce serait oublier plusieurs choses : déjà que les premières persécutions religieuses furent menés par des païens contre des chrétiens [6] ; ensuite que le christianisme a toujours préféré convertir plutôt que massacrer, et les païens se sont massivement ralliés à la nouvelle religion sans violence ; enfin que ce sont des « Européens ethniques », les Francs notamment, tribu germanique, qui furent les premiers à embrasser le christianisme nicéen et à le diffuser. Les Wisigoths et les Burgondes se sont convertis sans difficulté au christianisme dans sa version arienne. Clovis, roi des Francs-Saliens, peuple païen, depuis 481, fils de Childéric, avait jusqu’alors Wotan, Thor ou encore Freya comme dieux. Sa conversion la même année, en 481, est rapportée par Grégoire de Tours : il avait fait vœu de se baptiser au cours d’une bataille contre les Alamans (probablement celle de Tolbiac) si la victoire lui était accordée [7]. La victoire eut lieu et, au moment de la baptiser, saint Rémi de Reims dit à Clovis : Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré.

Voir également : Héraldique et symboles des 12 tribus d’Israël


Charlemagne, descendant de Charles Martel et Pépin le Bref, a mis à profit une tradition guerrière bien ancrée chez les Pippinides pour attaquer les peuples païens bordant le Royaume franc. Il envahit le royaume lombard en 774, suite à l’appel du pape qui craignait pour les terres du Patrimoine de saint Pierre. Juste avant, dès 772, il affrontait les Saxons pour mettre fin à leurs incursions et raids de plus en plus violents, qui pillaient villages et églises, agrandir le territoire du royaume mais aussi convertir ces populations païennes [8]. Les missions en terres saxonnes, apparues dès les années 630, furent pour beaucoup des échecs, jusqu’à ce que saint Boniface, lui-même un Saxon d’Angleterre, en relation avec Carloman et Rome, parte en mission à partir des années 720, devenant ainsi l’apôtre de la Germanie, notamment dans ses régions rhénanes. Il abattit à la hache l’arbre sacré de Geismar, et fut martyrisé par les païens vers 754, alors qu’il était âgé de plus de 70 ans [9]. Mais à la fin du VIIIe siècle, la Saxe continuait d’être rebelle : c’était le dernier peuple païen d’Occident, et ce fut la conquête la plus longue de Charlemagne (779-785). Éginhard, son biographe, insiste sur les intentions évangélisatrices de Charlemagne et célèbre la fureur des Francs contre les Saxons païens. Dans la Vita Karoli, c’est l’ardeur des Francs et leur foi inébranlable qui les rendent victorieux des païens et de leur inhumanitas. En 782, l’armée franque fut massacrée et une révolte générale de la Saxe entraîna la destruction des églises et le meurtre d’une grande partie du clergé franc déjà installé. Cette guerre fut donc violente, et c’est dire que les païens saxons étaient eux-mêmes des guerriers et qu’ils n’ont pas « subi » une persécution. Ils ont combattu, et ils ont été vaincus. Si les néo-païens considèrent que la force est une vertu majeure, reçue des dieux, ils doivent admettre que les chrétiens ont été les plus forts [10]. Mais il n’y a là nulle volonté de puissance car, comme Éginhard, il faut se réjouir de cette fusion réussie entre les deux peuples Francs et Saxons, rendue possible par leur embrassement du christianisme. En 785, le roi saxon Widukind capitula et vint en Francie se faire baptiser et jurer un serment de fidélité. La même année, le premier Capitulaire de Charlemagne pour les Saxons impose le christianisme, mais la Lex saxorum de 802 protège la spécificité de leur droit, à l’intérieur de l’Empire.

Saint Boniface abattant l’arbre sacré des Saxons, près de Geismar (Hesse)

Christianisé dès les premiers siècles, l’Occident a eu très tôt le christianisme pour seule Tradition, lequel s’est exprimé selon son génie propre, reconnaissable entre autres par la beauté de ses œuvres, des évangéliaires carolingiens aux Primitifs flamands, de l’orfèvrerie des reliquaires aux peintres du Trecento, de l’éclat des enluminures à l’émail de Limoges, des scriptoria monastiques aux universités, en passant par la sobriété des églises romanes et la grandeur des cathédrales gothiques. Faut-il regretter la victoire du christianisme ? Pour les quelques peuples païens qui y furent réticents, ne doivent-ils pas voir le sens du destin, la raison de la force, la décision des dieux, comme eux-mêmes le croyaient ? Et pour les guerriers païens qui ont résisté, leur honneur n’a-t-il pas été sauvé par la bravoure des chevaliers et des croisés qu’ils allaient devenir ? Cette transition entre le paganisme et le christianisme a été souvent célébrée par l’idée de Translatio imperii, le passage de la Rome païenne à la Rome chrétienne, devenue cathedra Petri. Une idée couramment admise au Moyen Âge était que les conquêtes romaines, accomplies sous la République et l’Empire, ont été sanctionnées par le Christ quand Il a voulu que Rome, capitale de l’Empereur, sanctifiée par les martyres de saint Pierre et saint Paul, fût aussi le séjour du Saint-Siège. L’histoire de l’Europe chrétienne est donc une synthèse et elle est un héritage partagé.

Le christianisme est une synthèse

Le christianisme a pu être reçu avec résistance dans certaines parties d’Europe, mais d’une manière générale il s’est répandu rapidement et massivement, preuve que le paganisme européen était mûr pour disparaître. Car si le christianisme avait été parfaitement incompatible avec les mentalités païennes européennes, il aurait été rapidement et complètement rejeté par les populations, comme ce fut le cas plus tard dans d’autres régions du monde, comme le Japon. L’Église elle-même a appelé à une évangélisation « raisonnée », afin que les missionnaires ne détruisent que les idoles et les cultes considérés comme démoniaques, mais qu’ils conservent les temples [1]. En 596, le pape Grégoire le Grand avait envoyé une mission en Angleterre pour évangéliser les Anglais, dirigée par Augustin, devenu le premier archevêque de Canterbury. Dès 597, le roi (saxon) du Kent, Ethelbert, se faisait baptiser avec son peuple. Une lettre célèbre du pape Grégoire le Grand, adressée à l’archevêque de Canterbury, en 604, donnait ce conseil pour évangéliser les populations angles et saxonnes d’Angleterre :

Il faut se garder de détruire les temples des idoles : il ne faut détruire que les idoles, puis faire de l’eau bénite, en arroser les temples, y construire des autels et y placer des reliques. Si ces temples sont bien bâtis, c’est une chose nécessaire qu’ils passent du culte des démons au service du vrai Dieu ; car, tant que la nation (anglaise) verra subsister ses anciens lieux de dévotion, elle sera plus disposée à s’y rendre par un penchant d’habitude, pour adorer le vrai Dieu, lorsqu’elle aura rejeté ses erreurs.

L’évangélisation des populations païennes passa par l’annexion de leurs lieux sacrés, qu’il s’agisse de sources ou de pierres cultuelles, afin de marquer la continuité entre les traditions ancestrales et le Salut nouveau annoncé par le Christ. C’est pourquoi certaines églises et cathédrales d’Europe possèdent encore aujourd’hui des éléments hérités du paganisme. Cette transition du paganisme au christianisme a pu aussi s’exprimer par la christianisation de déesses (comme Brigitte d’Irlande, sainte du Ve siècle, fille d’un roi païen écossais et qui se réfugia dans le tronc d’un gros chêne, dont le culte dérive de celui de la déesse celte Brigit), ou de sources païennes, auxquelles ont été associés des saints thaumaturges, présentes dans toute l’Europe.

Le paganisme a donc été absorbé par le christianisme et vidé de ses croyances les plus éloignées du dogme chrétien. Mais beaucoup de sa surface (rites, pratiques, quelques superstitions) a survécu et s’y est perpétuée. C’est pour cette raison que le christianisme, quelle que soit la région où il s’est développé, contient toujours en lui cette ancestralité païenne qui fut le lot des populations qui y ont toujours vécu. Le christianisme occidental ne s’est pas construit à partir de rien, et a donc gardé une part du “génie” païen en l’intégrant et en le conformant à son dogme. C’est pour cette raison que l’accusation des néo-païens contre “l’universalisme” abstrait du christianisme, qui ne tiendrait pas compte de la particularité des populations qui le pratiquent, ne tient pas : le christianisme est tout au plus un « universalisme ancré », qui parvient à allier transcendance et enracinement. Sur le plan du Salut, saint Paul nous dit que « Dans ce renouvellement il n’y a plus ni Grec ou Judéen, ni circoncis ou incirconcis, ni barbare ou Scythe, ni esclave ou homme libre ; mais le Christ est tout en tous [2].  » Mais sur le plan de la religion, pratiquée et exprimée selon “l’esprit” propre des peuples, le christianisme est nécessairement incarné.

Les Chi (x) et Rhô (p) (deux premières lettres du mot « Christ » en grec) du Livre de Kells

Sans pouvoir tous les énumérer, voici quelques éléments hérités du paganisme. Le calendrier, déjà : beaucoup de rites agraires, accomplis à des temps fixes de l’année, sont hérités des temps pré-chrétiens. Les Feux de la Saint-Jean et les Rogations sont les exemples les plus probants. Pour ces derniers, ensemble festif de trois jours immédiatement antérieur à l’Ascension, c’est le concile d’Orléans de 511 qui étendit à toutes les églises de Gaule cette célébration. En 816, le pape Léon III fit adopter cet usage à Rome et l’imposa à toute l’Église. Les Rogations étaient encore pratiquées dans les campagnes occidentales jusqu’au milieu du XXe siècle. Le culte des reliques, et tout le merveilleux qui y était attaché, relève également d’une religiosité matérielle, concrète, qui relève pour une part du paganisme [3]. Du côté des croyances, beaucoup furent partagées par les savants comme les plus simples ; certains ont même parlé, du Moyen-âge au milieu du XXe siècle, d’une « religion populaire », c’est-à-dire d’un ensemble de croyances superstitieuses partagées par les chrétiens des campagnes, des clercs comme des ignorants. Ces croyances s’exprimèrent principalement par les légendes de saints (Vies, Passions, Miracles). Ces saints, locaux ou donnés à la dévotion des fidèles dans toute l’Église, étaient connus de tous. Leurs Vies, mises par écrit par les clercs, les moines copistes le plus souvent, contenaient beaucoup d’éléments légendaires, tirés d’un substrat païen plus ancien, fait de merveilleux et de symbolisme [4]. Claude Lecouteux a montré comment des éléments de croyances païennes germaniques, comme les elfes, les fées ou les gnomes, se retrouvaient également dans des textes savants et littéraires [5]. Une remarque identique peut être faite à propos d’œuvres plus littéraires, comme la Matière de Bretagne, déjà présente chez les écrivains de langue latine (Geoffroy de Monmouth, Giraud de Barri), et qui fut une référence pour la littérature vernaculaire, alimentant les œuvres de Marie de France et de Chrétien de Troyes. Tout le cycle du Graal, dont l’imaginaire est celtique, les œuvres germaniques Parzifal ou la Chanson des Nibelungen, dans lesquelles l’influence chrétienne est importante.

Cette reformulation chrétienne d’une ancienne mythologie s’exprima également par l’art. Nous avons disséminé dans cet article quelques images de chefs-d’œuvre où des symboles chrétiens sont harmonieusement mélangés à une esthétique pré-chrétienne. Deux exemples nous semblent bien représenter cette heureuse association : le Livre de Kells, manuscrit irlandais des alentours de l’année 800, qui contient les quatre Évangiles et présente des enluminures sublimes, très colorées, aux fortes influences celtiques. Second exemple, les pierres runiques de Jelling (Danemark), érigées par les rois du Danemark Gorm III et Harald Ier son fils, au moment de la conversion du royaume au christianisme. À visée commémorative, la « grosse pierre » présente un Christ en croix, pris dans un entrelacs typiquement scandinave [6].

D’une manière générale, les païens se sont accommodés du christianisme dans la mesure où ils vivaient également dans un monde ordonné et habité par le surnaturel. Pour eux aussi le mal y était à l’œuvre, et il fallait régulièrement exorciser les démons qui venaient troubler l’existence des hommes. Ils croyaient en l’invisible, la terre entière était divine, et aucun des miracles que l’Église leur a donnés à croire, à commencer par l’Eucharistie, ne leur a semblé incongru [7]. Comme les philosophes antiques avant eux, les théologiens chrétiens n’hésitèrent pas à célébrer l’harmonie du cosmos et l’empreinte divine qui s’y trouvait : « Le monde entier est pour l’homme une théologie » (Totus […] mundus theologia est homini), disait saint Albert le Grand, maître de saint Thomas d’Aquin [8]. A l’instar de David dans les Psaumes, le chrétien célèbre la nature comme une merveille de Dieu, intermédiaire vers le Ciel. « Les arbres et les pierres t’en apprendront plus que tu ne pourrais jamais entendre des professeurs » disait saint Bernard de Clairvaux [9]. La grandeur des œuvres divines doit nous porter vers Lui, car la Nature n’est pas coupée de Dieu : Il la maintient dans l’existence par une « Création continuée ». « Le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent ne me disent-ils pas aussi de toutes parts qu’il faut que je vous aime ? Et ils ne cessent de le dire aux hommes. » [10] » À ce titre, le christianisme est autant « cosmique » que les traditions païennes : il n’y a pas eu, durant les mille ans de Moyen Âge, un « anthropocentrisme » dont le projet aurait été d’asservir la nature et qui aurait trouvé son fondement dans la Bible. L’idée de se rendre « maître et possesseur de la nature », pour citer Descartes, n’apparaît pas avant la révolution technique et scientifique du XVIe siècle. Il fallait que la nature soit rendue rationnelle et vidée de son surnaturel pour que l’Occident puisse entreprendre de l’exploiter – ce qui n’était clairement pas le cas durant le premier millénaire de christianisme en Europe [11].

On se demandera peut-être pourquoi l’Église a condamné et interdit tout culte des sources, arbres ou pierres, si le christianisme reconnaît à la Création une part divine et si le chrétien considère le monde comme habité par le surnaturel. C’est que les cultes païens, sans doute victimes de dégénérescence, ne faisaient pas de ces éléments naturels des intermédiaires vers une puissance supérieure, à la manière d’une icône : ils adoraient véritablement l’objet en lui-même, ce qui est de l’idolâtrie, comme le manifestait la remise d’offrandes à des bosquets, tertres ou cascades.

Pierre runique de Jelling (Danemark), milieu Xe s.

Voir également : Une réponse chrétienne à «Yahweh ne nous a pas créés» par un nationaliste blanc

La nécessité de la conversion, l’urgence de l’unité

Le catéchisme de l’Église catholique, promulgué en 1992, affirme dans son paragraphe 2113 que « l’idolâtrie ne concerne pas seulement les faux cultes du paganisme. Elle reste une tentation constante de la foi. Elle consiste à diviniser ce qui n’est pas Dieu. Il y a idolâtrie dès lors que l’homme honore et révère une créature à la place de Dieu […] ». Au paragraphe 2114, on peut également lire que « l’idolâtrie est une perversion du sens religieux inné de l’homme. L’idolâtre est celui qui rapporte à n’importe quoi plutôt qu’à Dieu son indestructible notion de Dieu ». La gravité de l’idolâtrie est facilement compréhensible : si l’homme remplace le Seigneur dans son cœur par un autre dieu, qu’il soit un être vivant ou un objet, il se prive de la source intarissable de Vie qui est Dieu. Les simulacres néo-païens ne sont pas la seule forme que prend le retour massif du paganisme en Occident : il est partout répandu, y compris chez ceux qui se prétendent « sans dieux », les athées, et qui sont en réalité les serviteurs d’idoles innombrables, dont la plus répandue est Mammon, le dieu argent. Les idoles sont de fausses valeurs qui ne communiquent rien à l’âme : elles sont de main d’hommes, « elles ont une bouche, et ne parlent point ; elles ont des yeux, et ne voient point. Elles ont des oreilles, et n’entendent point ; elles ont des narines, et ne sentent point. […] Qu’ils leur ressemblent ceux qui les font, et quiconque se confie à elles ! » (Psaume 115). Dès lors, l’idolâtrie conduit à la Mort – au sens métaphysique du terme, la mort de l’âme.

La conversion est donc nécessaire pour résister à la société moderne et ses hypostases : le libéralisme, l’hédonisme, le matérialisme, l’individualisme, le mondialisme. La conversion concerne toutes les âmes : les catholiques, les païens sans le savoir (formés pour une grande part d’Occidentaux athées et déracinés), les néo-païens qui s’assument comme tels. Il faut revenir à la véritable religion des pères, la Tradition de l’Église, et ne surtout pas confondre le catholicisme intègre avec sa forme parodique prêchée parfois au plus haut sommet de l’Église. Les néo-païens ont tendance à oublier l’histoire de l’Europe, et sa défense totale par le christianisme, de Poitiers à Vienne, pour s’arrêter sur la situation actuelle de l’Église, qui donne une image pathétique d’elle-même. Ils trouvent dans cette Église « ouverte » une source abondante de contre-exemples et de raisons pour s’en tenir éloignés. Les idées modernes qu’elle peut parfois sembler défendre, ne sont en rien catholiques : l’Église fut historiquement toujours antimoderne et antilibérale, et si elle use jusqu’à l’excès des termes d’amour et de charité, c’est qu’elle ne les comprend plus et les a dévoyées. La réalité est que ce ne sont pas l’Église et le christianisme qui ont failli en Occident : c’est la modernité qui a vaincu. Alors convertissons-nous, car jamais l’unité n’a été aussi urgente, et personne n’est de trop dans la lutte spirituelle contre les forces malines. Mais s’il s’agit de trouver des valeurs, des principes et une tradition dans des pratiques antiques oubliées et définitivement disparues, c’est emprunter un mauvais chemin, car le Christ seul est via, veritas et vita.

L’illusion de la continuité (notes)

[1] Au XIXe s., l’intérêt porté aux anciennes croyances populaires, notamment aux légendes, était désintéressé et n’avait aucune intention de ressusciter une religiosité païenne. La quasi-totalité des auteurs romantiques, qui furent souvent les premiers à s’y intéresser, étaient profondément chrétiens. Tout au plus pouvait-on leur reprocher une tendance au panthéisme.

[2] Aucune doctrine cohérente et unifiée ne réunit ces mouvances néo-païennes. Sans surprise, ce type de néo-paganisme, parfois proche de la sorcellerie, est surtout répandu dans les pays nordiques et anglo-saxons. On estime entre 200 000 et 300 000 le nombre de néo-païens aux États-Unis.

[3] L’Islande a poussé le néo-paganisme loin, puisque l’Ásatrúarfélagið, ou « l’association Ásatrú », qui promeut et organise la forme reconstruite du paganisme nordique, a été reconnue comme étant une organisation religieuse officielle en 1973, lui permettant ainsi de procéder légalement à des unions matrimoniales et de bénéficier d’autre part de la taxe religieuse. Depuis le 6 novembre 2003, ce culte a été reconnu officiellement au Danemark. https://www.tdg.ch/monde/Le-culte-d-Odin-connait-un-boom-en-Islande/story/23956900
D’une manière générale, on qualifie d’odinisme, du nom du dieu Odin, la version néo-païenne de la religion nordique ancienne. Le wotanisme en est une forme particulière, puisqu’il s’y mêle des considérations politiques extrêmes, sur fond de néonazisme.

[4https://www.courrierinternational.com/article/2013/06/20/bienvenue-chez-les-paiens Dans les pays baltes, le paganisme a été reconnu lors de l’accession à l’indépendance de certains États : en Lituanie avec les païens de Romuva et en Lettonie avec ceux de Dievturi, par exemple.

[5] La Nouvelle Droite est née en 1969 avec la fondation du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE).

[6] Nous ne sommes pas solidaire de leur combat, et cet article le démontre. Néanmoins, toutes les idées défendues par la Nouvelle Droite ne sont pas contraires à la foi chrétienne. Leur critique du mondialisme, de la modernité, de l’individualisme, leur défense également de l’ethno-différentialisme, bien que discutable et discutée, ont une logique certaine. « Chaque peuple se doit de voir reconnu le droit à son identité, explique ainsi Pierre Vial. Je soutiens le combat des Touaregs et des Berbères en Afrique parce que leur combat est le même que le nôtre. »

[7http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/les-deux-visages-du-neopaganisme-francais-26-03-2014-3797_110.php

La véritable tradition des ancêtres (notes)

[1] Et comme disait Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune : La Chrétienté a fait l’Europe. La Chrétienté est morte. L’Europe va crever, quoi de plus simple ?

[2] Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses, III, 4, 1-2.

[3] Eusèbe de Césarée (vers 265-340), Démonstration évangélique, II, 3, 35 (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 197 ; voir Sources chrétiennes 228).

[4] « Par leur conversion, les païens ont écouté les prophètes, tandis que les Juifs endurcis se sont repliés sur la lettre et la matérialité des livres. Ils se frustrent de leur vérité et laissent échapper leur part d’héritage, à la suite de l’obscurcissement de leur intelligence, selon 2 Co 3, 14-15. La condition juive est ainsi prise dans un état d’ambiguïté qui la rend caduque dans sa lettre et dans sa chair, mais que le salut et le Christ, qui en proviennent (Jn 4, 22), rendent pérenne, dans la ligne de l’enseignement de Rm 9-11. » Gérard Rémy, « La convocation des païens dans l’Église selon l’ ‘‘Enarratio in psalmum’’ 47, 159-183 », in Les Pères et la naissance de l’ecclésiologie, Cerf, « Patrimoines », p. 172-173.

[5] « Car vous vous êtes mis, frères, à imiter les Églises de Dieu dans le Christ Jésus qui sont en Judée : vous avez souffert de la part de vos compatriotes les mêmes traitements qu’ils ont soufferts de la part des Juifs : ces gens-là ont mis à mort Jésus le Seigneur et les prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent point à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes quand ils nous empêchent de prêcher aux païens pour leur salut, mettant ainsi en tout temps le comble à leur péché. » Saint Paul, Épître aux Thessaloniciens 2, 15

[6] On connaît bien les persécutions romaines contre les chrétiens dans tout l’Empire, les plus brutales étant celles de la fin de l’Empire : les persécutions de Dèce (c.250), de Valérien (257-258), et de Dioclétien, au début du IVe siècle. Quant aux missionnaires et évangélisateurs des païens, on ne compte pas le nombre de martyrs et autres suppliciés pour avoir annoncé l’Évangile : on en trouve bien sûr en Europe jusqu’à la fin de l’époque carolingienne, mais aussi en Asie, Afrique, Amérique, du Sud comme du Nord… Tenter d’en faire une liste serait une gageure.

[7] « La reine ne cessait de prêcher pour que [Clovis] connaisse le vrai Dieu et abandonne les idoles, mais elle ne put le convertir, jusqu’au jour où, enfin, la guerre fut déclenchée contre les Alamans. Il arriva au cours d’une bataille que l’armée de Clovis fut sur le point d’être complètement exterminée. Celui-ci ému jusqu’aux larmes dit : “Ô Jésus Christ, si Tu m’accordes la victoire sur ces ennemis, je croirai en Toi et je me ferai baptiser en Ton nom. J’ai en effet invoqué mes dieux, mais, comme j’en ai fait l’expérience, ils se sont abstenus de m’aider : je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puissance… C’est toi que j’invoque maintenant, c’est en toi que je désire croire, pourvu que je sois arraché à mes adversaires.” Comme il disait ces mots, les Alamans, tournant le dos, commencèrent à prendre la fuite… La paix faite, il rentra et raconta à la reine comment, en invoquant le nom du Christ, il avait mérité la victoire. Ceci s’accomplit la quinzième année de son règne. » Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 30, trad. R. Latouche, Paris, 1963, t. 1, p. 119-120. La conversion à la suite d’une victoire est classique chez les païens : la plus célèbre est celle de l’empereur romain Constantin. Selon l’historien Eusèbe de Césarée, ce dernier se serait en effet converti au christianisme en 312 à l’occasion de la bataille du pont Milvius contre son rival Maxence.

[8] La frontière entre le royaume franc et le royaume saxon, la Lippe, rivière aujourd’hui en Allemagne occidentale, affluent du Rhin, est en fait une zone de conflits récurrents depuis le VIe siècle, entre la Frise, la Franconie et la Thuringe. Au VIIIe siècle, les incursions saxonnes sont de plus en plus agressives et en 772, elles génèrent donc une guerre de plus grande ampleur : tout s’embrase vraiment avec la destruction par Charlemagne, en cette année 772, de l’Irminsul (le lieu de culte majeur des Saxons, sorte d’arbre ou de colonne en l’honneur du dieu de la guerre, Irmin). Les Saxons répliquent par la destruction de monastères et par le pillage des frontières franques. La guerre est officiellement déclarée par Charlemagne en 776.

[9] Saint Boniface n’est pas le seul à s’être montré si zélé : en France l’évêque Amator (mort le 1er mai 418) fit abattre à Auxerre un poirier objet de culte. Dans l’actuelle Belgique, Amandus, évêque de Maastricht (647-649) fit de même près de Gand.

[10] Si toutefois les néo-païens, dans une mouvance plus New Age, préfèrent la tolérance et l’amour de l’autre, ils devraient immédiatement rejoindre les rangs de l’Église actuelle, qui affectionne tant une vision dévoyée de la charité.

Le christianisme est une synthèse (note)

[1] Saint Augustin recommanda aux évangélisateurs de s’approprier la richesse de la pensée profane pour mieux prêcher l’Évangile aux païens (ad usumjustum praedicandi evangelii), de la même manière que les Hébreux dans leur fuite emportèrent les vases sacrés des Égyptiens afin qu’ils servissent leur propre culte.

[2] Colossiens 3, 11. « Le Seigneur est Celui qui a récapitulé en lui-même toutes les nations dispersées à partir d’Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même. » Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses, III, 22, 3.

[3] Le commerce des reliques ou d’objets ayant appartenu à des saints vient peu à peu remplacer celui des phylacteria, ligaturae, ligamina et characteres. Voir E. Bozoky, Le Moyen âge miraculeux, et autres études sur le culte des reliques. Voir également Claude Lecouteux, « Paganisme, christianisme et merveilleux », Annales E.S.C., 37, 1982, p. 700-716.

[4] Le cas le plus éclatant est celui des saints sauroctones, c’est-à-dire des saints tueurs de dragons. Pierre Saintyves avait déjà à son époque compris comment les différentes légendes de saints étaient en réalité des « pots-pourris » de traits empruntés aux traditions païennes dites « populaires » : il est l’auteur d’un traité au titre évocateur, Les saints successeurs des dieux. Essai de mythologie chrétienne, 1907. Ce fut la Réforme du XVIe s., ainsi que la Contre-Réforme, qui s’attachèrent à « vider » l’hagiographie de tout ce merveilleux pré-chrétien.

[5] Une partie de l’histoire de Montaillou, influencée par le catharisme (fin du XIIIe siècle – 1320) est retracée dans l’ouvrage d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, enquête par Jacques Fournier dans le village de Montaillou entre 1319 et 1324, et on constate que les paysans croient au christianisme et veulent communier mais qu’ils conçoivent des filtres, fabriquent des potions, dans un univers fortement teinté de paganisme.

[6] On s’intéressera avec profit aux études de Régis Boyer, et notamment Le Christ des barbares (Cerf), qui revient sur la conversion des pays germaniques et nordiques au christianisme, à partir des témoignages des missionnaires, et le mélange atypique qu’a produit cette rencontre : un christianisme barbarisé, entre germanisme et christianisme.

[7] Sur cette question de la religion vécue dans la société chrétienne du Moyen âge, on se rapportera avec intérêt aux ouvrages d’A. Vauchez : « La foi des laïcs vers 1200 : mentalités religieuses féodales », in Les Laïcs au Moyen Age. Pratiques et expériences religieuses, 1987. Voir également La spiritualité du Moyen âge occidental, Seuil. Des sources rapportent comment, convaincus de la puissance de l’hostie consacrée, certains paysans en avaient dérobé pour les enterrer dans leurs champs, dans l’espoir d’accroître les récoltes.

[8] Saint Albert le Grand, Sur Matthieu, 13, 35.

[9] Saint Bernard de Clairvaux, Lettres, 106, 2.

[10] Saint Augustin, Confessions X, 6. Pour davantage de références cette « théologie du monde », on se référera avec profit à l’ouvrage de R. Brague, La Sagesse du monde (Poche), aux chapitres se rapportant aux monothéismes, dont le christianisme. Voir également la synthèse d’U. Eco, Art et beauté dans l’esthétique médiévale, Poche.

[11] La différence entre une « écologie profonde » (deep ecology), selon la terminologie du philosophe Arne Näess, panthéiste et non anthropocentrique et l’« écologie superficielle » (shallow ecology), qui se limite à une simple gestion de l’environnement, n’est pas celle de la vision biblique de la nature, mais de l’exploitation techno-scientifique apparue en même temps que la modernité au XVIe siècle.

Lire également : Une réponse chrétienne à «Yahweh ne nous a pas créés» par un nationaliste blanc : https://www.partinationalistechretien.com/?p=1294

Source :

https://www.lerougeetlenoir.org/opinions/les-controverses/la-supercherie-du-neo-paganisme-1-3-l-illusion-de-la-continuite

https://www.lerougeetlenoir.org/opinions/les-controverses/la-supercherie-du-neo-paganisme-2-3-la-veritable-tradition-des-ancetres

https://www.lerougeetlenoir.org/opinions/les-controverses/la-supercherie-du-neo-paganisme-3-3-le-christianisme-est-une-synthese

1 commentaire

  1. Jean-Philippe (Le Goy) Labbé dit :

    Génial cet article, costaud en plus !! C’est vrai qu’on observe pas mal de courants païens par les temps qui courent, beaucoup de nationalistes s’en revendiquent, et se montre christiano-critique justement, excellent article pour remettre de l’ordre dans l’histoire 🤓.

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