– En quatre mille ans, le paganisme avait enfanté la puissance et la civilisation de Rome, et la puissance et la civilisation de Rome se nommaient Néron.

Ce n’était pourtant pas la barbarie. On jouissait, au contraire, de la civilisation la plus parfaite où le monde se fût encore trouvé; civilisation savante, recherchée, raffinée, pleine de toutes les jouissances du luxe et des arts, dotée d’une administration si diligente qu’il n’y avait nul moyen d’échapper à la police. Il y eut alors de grands progrès culinaires ; il devint possible de dépenser 600,000 francs en un seul festin. On appréciait les acteurs; ils devenaient des gens considérables; le tragédien AEsopus laissa une fortune de quatre millions, après avoir toute sa vie scandalisé le peuple par ses prodigalités.

Quant aux mœurs, les matrones descendaient dans le cirque et conduisaient chez César les prostituées qui pouvaient lui plaire. Quant à la famille, Tertulien disait aux magistrats : Quel est celui d’entre vous qui n’a pas donné la mort à son enfant ?

Telle était la descendance d’Auguste, de Cicéron, de Virgile et d’Horace. Depuis longtemps la Grèce était morte sous le brillant pavillon d’Homère. Ni Homère, ni Cicéron, ni Virgile, ni Horace ne firent pour Rome ce que n’avait pu faire Auguste, son maître le plus longtemps et le plus docilement obéi ; ils ne purent lui donner des gens de cœur. Si le Christ avait tardé quelques siècles, non-seulement la civilisation, mais l’homme lui-même, la bête humaine, aurait péri. La guerre, la tyrannie, le cirque, le suicide, la débauche, épuisaient rapidement le genre humain.

– Personne ne conteste aux païens d’avoir avancé de très-belles maximes, qui semblent des éclairs de la vérité. Mais on peut leur appliquer ce que Bossuet dit spécialement de leurs poètes : « On n’a qu’à les presser là-dessus, on verra qu’ils ne les entendent point, ou qu’ils en abusent. » Ils les pratiquent encore moins qu’ils ne les entendent. Le Christ leur manquait. Mais le Christ de moins, c’est au moins beaucoup ! Sans lui, la beauté des maximes des païens est comme la beauté de leurs temples : le démon les habite.

– Ce qu’était Rome à l’arrivée de saint Pierre, quelques noms le disent. De la mort de Notre-Seigneur à celle de son premier vicaire, Caligula avait succédé à Tibère, Claude à Caligula, Néron à Claude. A mesure que ces tyrans ou plutôt ces monstres se succédaient au suprême pouvoir, le sénat les déclarait dieux, et leur sacrifiait des victimes humaines.

Un jour Néron tua sa mère : le sénat en rendit de solennelles actions de grâces dans tous les temples de Rome. Tibère avait trouvé que les sénateurs l’adoraient trop ; ils n’en eurent point de honte, et ils adorèrent Néron comme ils avaient adoré Tibère. A l’un et à l’autre ils livrèrent ceux d’entre eux qui déplaisaient par un reste ou par une apparence de vertu. Le sénateur Tacite, qui le rapporte, est croyable; car probablement il le fit lui=même. Tacite était un des hommes estimables de Rome.

Sénèque, un autre grand écrivain, faisait des traités de morale où il enseignait le mépris des richesses, l’amour de la justice, le pardon des injures. Il avait été le précepteur de Néron, il devint son ministre ; en quatre ans de faveur, il amassa, par ses extorsions et par ses usures, cinquante-huit millions de notre monnaie. Lorsque Néron le consulta sur l’intention où il était de faire mourir sa mère, le moraliste Sénèque se contenta de demander par quels soldats on la ferait égorger, et il écrivit en beau style l’apologie de ce crime, que l’empereur daigna réciter en présence du sénat. Quant à la manière dont le sage Sénèque pardonnait les injures, Néron lui-même dut lui imposer la clémence envers ses ennemis.

Tels étaient les maîtres, les grands et les sages de Rome. Reconnaissant officiellement trente mille dieux, d’après le catalogue de Varron, et au fond pleins de mépris pour toute cette vermine olympienne née des superstitions et des corruptions populaires, ils s’en tenaient au matérialisme d’Épicure. Quant à leurs devoirs envers l’humanité, ils prenaient pour règle ce mot de Jules César : L’espèce humaine est une proie qui appartient au plus fort.

Leur politique les obligeant de se ménager la faveur du peuple, ils l’achetaient et la conservaient en faisant égorger dans les jeux publics des milliers de victimes, en sorte que, soit pour satisfaire à l’avidité et aux caprices du prince, soit pour amuser la multitude, le sang humain ne cessait pas de couler.

Les prêtres et les vestales assistaient à ces spectacles que la religion consacrait.

De l’autre côté du mur, sous les arcades du cirque, entre les cabanons où rugissaient les bêtes, et ceux où les apprentis gladiateurs se formaient la main sur les blessés, il y avait des lieux de débauche. Ce qu’étaient les mœurs de la classe élevée, on le sait : Chateaubriand a osé les décrire; mais « qui oserait raconter les cérémonies des dieux immortels et leurs mystères impurs ?… Il n’y avait nul endroit de la vie humaine d’où la pudeur fut bannie avec plus de soin qu’elle ne l’était des mystères de la religion. »

Sous cette plèbe qui se croyait libre et sous ces patriciens qui n’avaient de bien, de vie et d’honneur qu’autant que voulait leur en laisser César, gémissait le peuple immense des esclaves, déchus de tous les droits de l’humanité et même de la qualité d’hommes. Ils travaillaient, ils mouraient, ils servaient, comme leurs maîtres le jugeaient bon, aux plaisirs et aux intérêts de leurs maîtres. Le proverbe disait qu’il ne doit point y avoir de repos pour l’esclave ; non est otium servis. L’esclave n’avait point d’âme ; la Grèce l’appelait un corps, sôma ; Rome, une chose, res. Ce n’était qu’un outil dont on pouvait se servir sans relâche et sans scrupule, jusqu’à ce qu’il fût usé. Et quand la vie de l’esclave durait plus longtemps que ses forces, la sagesse écoutée de Caton enseignait qu’il fallait le laisser mourir de faim. Des patriciens employaient leurs esclaves à mendier et les mutilaient avec l’ingénieuse cruauté de l’avarice, afin d’exciter davantage la pitié des passants. Cette industrie était fort pratiquée, et comme en toute autre industrie il y avait concurrence. Si l’un de ces possesseurs d’esclaves mendiants voyait quelque part un esclave plus estropié que n’étaient les siens ou couvert de plus hideuses plaies, il choisissait dans son troupeau ceux qu’il pourrait rendre semblables à celui-là ; il les condamnait à un supplice aussi long que leur misérable vie, afin qu’ils rapportassent chaque jour quelques deniers de plus. Pour protéger la vie des maîtres contre le désespoir des esclaves, la loi ne leur enjoignait pas de les traiter plus humainement. Elle condamnait ceux-ci au dernier supplice, fussent-ils, par le nombre, une nation, quand le maître mourrait de mort violente. Ainsi furent exterminés sous Néron, par ordre du Sénat, malgré les murmures du peuple, les quatre cents esclaves de Pidanius Secundus, assassiné dans sa maison.

C’était là cette grande Rome, maîtresse orgueilleuse des nations ; cette Rome qui récitait les vers d’Horace et de Virgile, où la voix de Cicéron venait de s’éteindre, où Tacite et Sénèque écrivaient ; la Rome de César et d’Auguste, pleine de monuments, de richesses, de chefs-d’œuvre, de sagesse même, et qui, dit Montesquieu, établissait son empire sur la dépopulation de l’univers. C’est cette Rome que Simon, surnommé Pierre, pécheur du bourg de Bethsaïde en Galilée, tout seul et pieds nus, son bâton à la main, son Credo dans la mémoire, mais son Jésus dans le cœur, vint assiéger, vint prendre au nom de ce même Jésus crucifié à Jérusalem entre deux larrons. Il y venait enseigner le Dieu unique, le Dieu chaste, le Dieu juste, le Dieu miséricordieux et compatissant, le Dieu terrible, le seul Dieu. Il venait établir l’humilité dans ce royaume de l’orgueil, la pureté dans ce centre de la luxure, la liberté chrétienne dans cet enfer de la tyrannie. Il apportait la famille avec l’indissolubilité du nœud conjugal, et le respect pour la vie de l’enfant ; il venait restituer à l’esclave sa qualité d’homme et y ajouter la qualité d’enfant de Dieu. A la place de l’empire de Néron il venait constituer l’empire de Jésus-Christ.

Un jour César, le grand César, ce politique, cet orateur, ce poète, cet écrivain, ce savant, ce délicat, cet homme d’esprit ; César, si supérieur aux autres Romains et qui les méprisait tant, fit présent au peuple de quinze mille paires de prisonniers qui entrèrent dans le cirque et dont pas un ne sortit vivant. Oui, César !

Et, malgré cette largesse, le dictateur mécontenta le peuple ; il y eut des murmures. César ne s’était pas intéressé suffisamment à la fête, il avait affecté de lire des lettres pendant les jeux. Voyez-vous ce peuple et César ?

César est un sauvage, la société païenne est une société sauvage. Rome est pleine d’orateurs, d’écrivains et d’artistes ; elle a de vastes connaissances, un puissant génie, des qualités qui semblent des vertus : elle n’a point de frein qui l’empêche de s’abandonner à toutes les passions de la chair et de l’esprit ; elle méprise la vérité, elle ignore la charité, elle ne connaît pas la pudeur, elle est sauvage.

– On s’est appliqué à peindre l’Église sous l’aspect d’une secte essentiellement sanguinaire. Mais on sait ce qu’il faut croire des beaux jours de l’humanité avant le christianisme ; on sait quel cas les rois faisaient alors de la vie des hommes, et les hommes de la vie des rois. On n’a qu’à se rappeler les empereurs qui régnèrent pendant trois siècles, depuis Auguste jusqu’à Constantin. Le premier est Tibère, le dernier est Maxence. Dans l’intervalle, il y a Néron, Caligula , Elagabale, et tant d’autres ; sur plus de cinquante, plus de la moitié ont été assassinés. Ces trois siècles ne sont qu’un massacre presque sans interruption. C’est précisément avec le règne de Constantin que l’univers commença de respirer.

-La religion, sans pouvoir empêcher les guerres, a réussi à les rendre moins fréquentes, moins longues, moins meurtrières, à leur ôter le caractère atroce qu’elles avaient dans l’antiquité.

Voyons des faits : on tua 300,000 hommes en une seule année dans la guerre sociale ; 100,000 en deux ans dans la guerre de Sylla contre Marius. Claude fit périr en une seule fois 320,000 Germains ; Marc-Aurèle en immola davantage, tant de cette nation que des autres. A la bataille de Crémone, entre Othon et Vitellius, 50,000 hommes tués ; autant entre les généraux Vitellius et Vespasien. On ne compte que les grosses batailles ; on ne dit rien de la consommation ordinaire en guerres, séditions et spectacles. La perte d’hommes ne fut pas aussi grande de moitié chez les nations chrétiennes durant les siècles qui suivirent Constantin, malgré les invasions des Goths, des Vandales et autres barbares. Constantin accordait une récompense aux soldats qui conservaient la vie de leurs captifs. Les réconciliations opérées par l’Église sont sans nombre. Souvent la paix fut imposée sous la menace de l’excommunication.

– Une atrocité dont le christianisme a délivré le monde, et qui n’a pu disparaître que devant lui, c’est la coutume d’offrir aux dieux des victimes humaines, chez les Perses, les Gaulois, les Grecs eux-mêmes et les Romains. On vit cela la dernière année de César. D’ailleurs Rome avait les gladiateurs, qui d’abord combattirent sur la tombe des personnages remarquables pour apaiser les dieux inférieurs par l’effusion de leur sang, et qui ensuite remplirent les arènes, où ils devinrent le plus cher spectacle des Romains. On sait que ces spectacles avaient un caractère religieux et commençaient souvent par le sacrifice d’une victime humaine. Les Carthaginois avaient coutume d’immoler des enfants : on les vit, même après avoir signé à la suite d’une défaite l’abolition de ces sacrifices, en faire périr jusqu’à 200 dans un jour des familles les plus distinguées, parce qu’un ennemi vainqueur s’avançait jusque sous les murs de leur ville. Quand les Européens pénétrèrent en Amérique, ils y trouvèrent les abominations du monde ancien. Les habitants du Mexique remettaient à leurs prêtres, chaque année, jusqu’à 20,000 victimes. Avec cela on peut comprendre pourquoi Dieu a permis que tant de nations fussent effacées de la terre.

La résistance du paganisme est un miracle comme sa défaite. Elle atteste à quel degré de cruauté et d’infamie l’homme peut descendre, à quel point il peut se conjurer contre l’innocence, la justice, la liberté et la vérité. Les Actes des martyrs nous apprennent l’histoire telle qu’il la faut savoir et telle qu’elle est. Sans ces précieux documents, nous ne connaîtrions pas véritablement l’antiquité païenne, nous ne saurions pas de quelle bête implacable et insatiable Dieu a délivré le genre humain.

– Durant les premiers siècles de l’Église, des philosophes païens, pour triompher plus sûrement des chrétiens, leur empruntèrent une partie de leurs dogmes et entreprirent de lutter avec eux de vertus. Il semble que la tâche devait leur être facile. Riches, adulés, bien avec César, ils ne craignaient point que l’austérité des mœurs les conduisît au martyre. Cependant ce rôle aisé fut toujours au-dessus de leur pouvoir. Au premier choc des passions, le païen reparaissait le même : pour le moindre intérêt humain il renonçait à l’entreprise, aussi vite que pour le moindre intérêt religieux les chrétiens qu’il voulait imiter renonçaient à la vie. Comment cela ? les chrétiens n’étaient pas d’une autre nature ; ils n’avaient ni des corps plus robustes, ni des sens moins craintifs ou plus soumis, ni à certain égard des esprits plus éclairés ; mais ils avaient la force de Dieu, les philosophes n’avaient que la sagesse humaine. (35, p. 97.)

Toute vertu qui ne s’appelle pas religion, est à la merci des circonstances. Elle succombera devant ces tentations dont Dieu ne préserve personne, dont il permet surtout que l’orgueil soit accablé. (39, p. 99.)

Quand ce ne fut pas trop de Jésus mourant pour vaincre le péché, pouvons-nous croire qu’il suffise de nos velléités incertaines pour le terrasser ?

CE QU’ON DOIT AU CHRISTIANISME

– Le paganisme lègue au christianisme naissant la plus abominable et la plus naturelle des institutions humaines, l’esclavage. L’esclave des Romains n’était pas un homme ; il était une chose possédée. Même en se rachetant, il ne pouvait s’élever au rang de citoyen ; il devenait affranchi, et restait attaché à la clientèle de son ancien maître.

Dès que le christianisme retentit au milieu de la gentilité, l’esclavage est attaqué dans sa source. Les maîtres chrétiens donnent la liberté à ceux qu’ils ne regardaient pas comme des hommes, et qu’ils considèrent désormais comme leurs frères. Souvent ils vont dans les marchés acheter ces malheureux pour les délivrer du joug.

– La loi du Christ n’a pas seulement délivré l’humanité du joug permanent de la tyrannie ; mais encore l’Église du Christ, établie au centre de la tyrannie abattue, a su former dans le monde un esprit public invinciblement rebelle à la tyrannie. Le monde ne souffre plus que comme une exception de courte durée, ce qui jadis était la règle sans exception.

Source :

Fresque romaine montrant une tentative de sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon

Voir également :

Inexplicable silence sur le cannibalisme indigène en Amérique…

Charlatanisme, fabulation et calomnie systémique à l’encontre de la race blanche dans le cadre d’une Marche de mystification victimaire ”autochtone” à Montréal

Le scandale des fosses communes d’enfants autochtones dans les pensionnats du Canada était bidon, les fouilles archéologique ne donnent rien. Le pape François avait présenté des excuses officielles et Trudeau promis 320 millions de dollars en réparation

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